Un dressing durable, unique et local

Styliste de formation, Isa Tió a décidé de mettre sa passion et ses compétences au service d'une économie durable. Cette Bruxelloise, originaire de Barcelone, se lance en 2013 dans «l'upcycling» en réalisant des pièces uniques à partir de «robracks», des échantillons de tissus destinés à être jetés.
par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Avec ses 1.000 kilos de matières premières récupérés par an dans son atelier de Thieffry, sa confection de vêtements lui a permis de réduire la production de déchets de 134 kg en une année. Une éthique qu'Isa Tió et son mari, Jordi Tió, ont décidé de prolonger par un engagement social en faisant appel à des ateliers d'insertion sociale pour leur production et en proposant des workshops.

Comment a démarré votre engagement?

Isa Tió: «J'ai travaillé pendant presque dix ans pour l'industrie belge avant que l'entreprise pour laquelle je travaillais ne fasse faillite. Je connaissais l'existence de ce que l'on appelle les ‘robracks'. Ce sont des pièces magnifiques, et je me suis dit qu'il y avait moyen d'éviter qu'elles ne deviennent des déchets. Du coup, j'ai commencé à en faire des accessoires. C'est une façon de créer tout à fait autre chose parce que je dois compiler tous les tissus. Je les récupère, les classe par couleur ou matière et en fonction de ça, je me demande ce que je peux en faire. Cette année, il y avait des morceaux de matière plus technique. J'ai donc créé des coupe-vents. Ma semaine créative change en fonction de ce que j'ai. C'est ça la richesse et mon défi.»

Ph. Isa Tio

C'est en travaillant dans l'industrie belge que vous vous êtes rendue compte de tout ce gaspillage engendré?

«Oui, c'est un gaspillage qui est intrinsèque à l'évolution de chaque saison dans le monde de la mode. L'industrie est poussée à chercher de nouveaux tissus, de nouvelles couleurs. Parfois elle les récupère mais comme la mode change tellement, il y a quand même pas mal de tissus qui sont rejetés. Ça devient donc ma matière première.»

Combien de pièces arrivez-vous à créer par an?

«En comptant les accessoires, il y a des moments où j'ai pu réaliser 300-400 pièces, parfois plus. Je travaille aussi beaucoup les accessoires, les snoods, les petits cols, les écharpes, les foulards…»

Vous fabriquez aussi sur demande?

«Je ne dis pas non aux commandes mais je préfère que cela fonctionne au coup de cœur parce que je suis amenée à vibrer avec ce tissu et à trouver les associations qui me semblent pertinentes. Mais si j'ai une cliente qui est attirée par le concept et qu'elle a une taille plus petite (les habits fabriqués vont du 38 au 42, voire 44, ndlr), j'essaie quand même d'être à l'écoute et de le faire.»

Ce sont des pièces qui coûtent plus cher?

«Je ne suis pas dans les prix qu'il faudrait. Quand j'ai commencé ce projet, je me suis dit qu'il faudrait proposer des prix accessibles à tous. Je devrais faire payer ces pièces beaucoup plus -vu tout le temps que ça représente- mais je ne suis pas encore arrivée à ce déclic même si ça fait partie du respect de mon travail. Par exemple, je demande 85 à 90€ pour une blouse en soie, donc ce n'est pas un prix excessif.»

Vos clients sont-ils des personnes plus conscientisées au problèmedu gaspillage?

«Les jeunes sont moins ciblés même si je pense qu'il peut y en avoir d'intéressés. Sachant qu'ils peuvent trouver une blouse pour 15€, je me dis que ce n'est pas une question de choix mais de prix. Du coup, j'atteins plutôt un public de femmes de 35 à 70 ans, qui se soucient de la société actuelle et se posent des questions sur la consommation. J'en entends beaucoup dire qu'elles en ont marre d'aller dans les grandes surfaces et de trouver toujours la même chose, des habits qui n'ont pas d'âme. C'est ça qui mobilise aussi un intérêt vers une collection comme ça.»

Vous arrivez à vivre de ce travail?

«Non, je travaille dans l'enseignement dans la section ‘stylisme' à Saint-Luc, et aussi en petits modules aux Arts et Métiers dans la section ‘habillement'. Je propose également de temps à autre des workshops pour partager ma passion avec des personnes qui ont envie de faire un peu de DIY en proposant mon savoir-faire. Du coup, je ne vis pas de cette collection mais je me dis que je travaille dans quelque chose dans lequel je crois.»

Vous allez participer à la Fashion Revolution Fair de Bruxelles. Ce projet, c'est une manière de conscientiser la population?

«Oui tout à fait. À l'époque actuelle, on ne va pas changer le monde d'un jour à l'autre mais il y a une conscience collective qui change les choses, la façon de fonctionner, de se nourrir… Il y a toute une conscience sociétale qui est muée par une recherche d'une autre façon de faire. Ça crée une réflexion de consommation responsable qui m'interpelle et que je veux transmettre.»