Toute l'âme de Jay-Jay Johanson

Jay-Jay Johanson, c'est un peu l'éclat d'un diamant dans la pénombre ou celle d'une perle noire en pleine clarté. Il y a toujours chez lui cette douce mais profonde mélancolie esquissée avec une préciosité et une bienveillance extrêmes, mais sans la moindre tristesse. Son douzième (!) album «Kings Cross» est à cette image. Un cristal dans un velours sombre. Un bijou!
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

À la sortie de votre tout premier album «Whiskey» en 1997, vous parliez de vos influences qui étaient le jazz, Chet Baker et Portishead. Est-ce encore d'actualité aujourd'hui?

«Les fondements de ce que j'écris et de ce que je fais se basent en tout cas sur le même genre d'ingrédients. Je ne quitterai jamais Chet Baker et il ne me quittera jamais. C'est mon héros. Le son de Portishead a eu un grand impact sur moi à l'époque, j'en écoute encore parfois mais pas autant que dans les années 90. Ce qui m'intéressait dans le trip-hop, c'était l'utilisation de samples tellement cool, des vieilles BO, des rythmes hip-hop ralentis, du jazz modernisé… J'utilise encore toutes ces idées, mais je le fais bien évidemment très différemment qu'à l'époque. Les équipements de studio sont différents, on utilise moins de samples, et mes musiciens peuvent partir dans l'improvisation…»

Pensiez-vous à l'époque que vous auriez une aussi longue carrière?

«Oh absolument pas! Je n'ai jamais pensé que j'aurais une carrière tout court. Quand j'ai commencé, les artistes que j'aimais sortaient trois albums et puis c'était fini. L'un de mes héros, Nick Drake, n'a sorti que trois albums. Le Velvet Underground et Portishead n'en ont pas fait beaucoup plus. Aujourd'hui, j'en suis à mon douzième. Jamais je n'aurais pensé cela. Après «Poison» (2000), je ne pensais pas que je serais encore capable d'écrire des chansons. Je me sentais vidé et déprimé. Puis, j'ai rencontré ma femme, ma vie a changé, et l'envie est revenue.»

Ce qui caractérise votre musique et votre voix, c'est une certaine forme de délicatesse et de préciosité.

«Oh merci… Je crois que c'est exactement ce que j'essaye d'amener. La seule façon pour moi d'être unique est d'être le plus moi-même que possible (rires). J'essaye d'être dans la sensibilité et l'intimité. Je travaille beaucoup sur moi-même, je plonge très profondément en moi pour trouver ce qui est mon mode d'expression, ma pensée, mon feelling, ma voix… Certains morceaux sont plus extravertis, mais la plupart ont une forme de timidité.»

Dans cet album, vous parvenez justement à mettre beaucoup d'amplitude tout en restant dans l'intimité.

«Oui, mais c'est ce qui m'intéresse vraiment quand j'enregistre. On a tellement de possibilités aujourd'hui avec les ordinateurs, les programmes, etc., de corriger les erreurs, d'enlever certains bruits, pour atteindre une sorte de perfection. Et j'essaye justement d'éviter tout cela. La plupart des musiques ont été enregistrées sans tempo, on a davantage créé en live parce que j'ai peur de la façon dont on peut corriger tout cela. Ç'aurait été trop ‘plastique'. J'ai toujours dit au mixage que je voulais garder les imperfections parce que c'est ça qui rend la chanson unique, c'est là que la magie opère.»

 

Cette amplitude est bien illustrée par le morceau «We Used to be so close» avec cette longue introduction et cette envolée.

«Je me suis acheté une trompette il y a 3 ans, non pour devenir Chet Baker mais parce que j'aimais sa sonorité. Je voulais l'utiliser d'une façon plus ‘ambient', avec plusieurs couches sonores. Je crois qu'il y en a cinq dans cette chanson. Et l'une de ses couches passe à l'envers, ce qui crée un effet de dissonance abstraite qui peut apparaître comme un accident. Le morceau aurait pu se résumer à un habituel trio, mais je voulais quelque chose de plus bizarre et de plus alternatif. Un peu comme de l'ambient jazz. J'ai toujours aimé la période un peu psychédélique de Miles Davis fin ‘60 début ‘70. C'était des accords assez étranges. Très beaux mais aussi très compliqués.»

Cet album s'appelle Kings Cross, en référence à la gare, je suppose.

«Évidemment, mais pas pour Harry Potter. En fait, j'ai vécu dans ce quartier au début des années 90, quand je travaillais pour le magazine I-D. C'était le quartier le moins cher de Londres à l'époque. Je n'avais pas d'argent, c'était le seul endroit pour moi. C'était un quartier qui connaissait pas mal de troubles mais qui attirait aussi beaucoup d'artistes. Les habitants ne parvenaient pas à prononcer mon prénom Jäje, ils se sont donc mis à dire Jay-Jay. C'est un peu à Kings Cross que mon côté artiste est né.»

Vos textes restent assez sombres.

«Oui, ils le sont toujours. Mon troisième album ‘Poison' était vraiment le plus ‘dark' de mon catalogue, c'était aussi la période la plus sombre de ma vie. Aujourd'hui, mes sujets ont changé de point de vue. Dans les années 90, c'était des sujets tristes écrits par une personne seule. Maintenant, je parle d‘une solitude mais tout en sachant qu'il y a des gens qui m'attendent à la maison. Il y a des choses bien plus positives dans ma vie d'aujourd'hui qu'à l'époque. Je n'écris plus selon le même angle.»

Pierre Jacobs

Jay-Jay Johanson «Kings Cross» en concert au Botanique le 27 octobre