Sur les planches cette semaine - 19 février 2015

par
Nicolas
Temps de lecture 1 min.

Metro jette un regard critique sur les spectacles à voir dans nos théâtres.

La Pensée

 

En 1900, à la veille de son procès, le Docteur Kerjentsev fait les cent pas dans cette cellule de confinement éclairée de manière blafarde. Calme et précis, il s'apprête à exposer aux experts venus l'ausculter, les raisons qui l'ont poussé à tuer son meilleur ami. Appliqué et presque bienveillant, l'homme décrit étape par étape son modus operandi: se faire passer pour fou, commettre l'irréparable et guérir en échappant "au châtiment légal". Mais au fil de sa démonstration à la lumière changeante, c'est un être profondément troublé que nous découvrons, jaloux, incompris, misanthrope. Est-il l'homme sain d'esprit qu'il prétend être ou a-t-il finalement sombré dans la folie qu'il souhaitait singer? Sa confession va le troubler autant qu'elle impressionne le public. Le jeu d'Olivier Werner -traducteur, adaptateur et metteur en scène de ce spectacle- fascine. Le spectacteur est pris d'effroi devant le souci calculateur de ce personnage et ses accès de colère contrôlée. Sans poétique inutile mais diablement bien écrit, le texte de Léonid Andreïev parvient à nous mettre en empathie autant qu'il fait diversion sur les arcanes troublées de ce personnage inquiétant.

Gagner et perdre / Beckett

Beckett maîtrisait cet art de nous faire rire de nos petits travers. Cette compilation concoctée par Isabelle Gyselinckx avec la complicité de quatre comédiens (Anne-Marie Loop, Thierry Devillers, Isabelle Urbain et Catherine Mestoussis) expose en trois actes une illustration du proverbe "les derniers seront les premiers, les premiers seront les derniers". Dans les deux premières parties, les personnages des deux pièces courtes de l'auteur irlandais sont tour à tour gagnants et perdants. Comédie reprend les codes du vaudeville bourgeois, mais la metteur en scène s'amuse à engoncer les trois personnages - une femme, son mari et la maîtresse de ce dernier- dans d'immenses jares qui s'activent dès qu'une lumière vient les frapper. D'abord confus, le puzzle verbal se remet peu à peu en ordre et dévoile les péripéties de ce triangle amoureux. Le quasi silencieux Va-et-vient suit le ballet de trois commères sur un banc public où finalement l'une sera toujours le bouc-émissaire des deux autres. Dans la conclusion originale Réminiscences, Thierry Devillers - compositeur et pianiste pour le coup- invite ses trois consœurs au micro pour déclamer poèmes, chants et autres textes (Cioran, Chateaubriand, Dante, Schopenhauer, Berkeley, Heine,...). Les hauts et les bas de l'existence, ici évoqués, n'entachent en rien le bonheur de vivre sa vie ("On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine", écrivait La Rochefoucauld). Drôle et poétique, cette troisième partie manque peut-être du liant nécessaire à la cohérence de la pièce au final concise et bien interprétée.

Constellations

Attention, il n'y a que deux dates pour ce coup de cœur découvert au dernier Off d'Avignon! Mais la qualité de ce spectacle du Français Arnaud Anckaert vaut le détour. Dans ce texte du jeune auteur britannique Nick Payne, deux jeunes personnes vont se rencontrer à une soirée et entamer une histoire d'amour tendre, passionnée, hésitante parfois. Fleur bleue, me direz-vous? Pas tout à fait ("Comme dit Hitchcock, 'mieux vaut partir du cliché que d'y arriver'", rappelle le dossier de presse). Certes, dans ce décor de marbre, les sentiments ne sont pas faits de cette même pierre, même si l'expérience peut-être rude. Cette histoire de couple vaut pour la structure de ses échanges. Au fil de flashbacks et d'actes manqués, il n'est pas rare que le joli duo formé par Noémie Gantier et Maxence Vandevelde repasse sur certains épisodes en leur donnant une nouvelle issue, tantôt plus heureuse, tantôt pas. Ténu est le fil des mots et de leurs conséquences. Le jeu est précis sans être inutilement appuyé pour garder la cohérence de ces variations incessantes. Touchant et terriblement juste.

Nicolas Naizy

 

Crédits: Dominique Houcmant - D. R. - Bruno Dewaele