Sur les planches cette semaine - 13 novembre 2015

par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Petit tour critique des créations théâtrales du moment. À Bruxelles mais aussi ailleurs...

Rumeur et petits jours

Retrouver le Raoul Collectif, c'est comme organiser une soirée de retrouvailles d'anciens de l'école. Plein de bons souvenirs, de leur premier succès "Le Signal du Promeneur", une foule de questions se pressaient dans nos têtes à l'entrée de leur tant attendue nouvelle création, intitulée "Rumeur et petits jours". Ont-ils changé ? Vont-ils bien s'entendre ? Que vont-ils nous raconter cette fois ? Si ce genre d'expérience peut tourner au désastre, il n'en est rien ici, tant les retrouvailles remplissent nos espérances. Sans doute parce que ces cinq jeunes comédiens, décidés de se lancer dans le métier en se serrant les coudes et les imaginaires, se sont posé les bonnes questions lors de leurs propres retrouvailles après des parcours en solo pour chacun.

Ph. Céline Chariot

Le spectateur est ici public d'une émission de radio, de celles qui n'existent presque plus si ce n'est sur certaines radios publiques françaises. En rang d'oignons sur leur table, les membres de la bande s'apprêtent à diffuser leur dernière émission philosophique, supprimée par la direction. Sans être située dans le temps, on sent l'esthétique d'une France giscardienne. Certains sont déçus des trahisons des anciens camarades de 68. "Fricards ! Traitres ! Vendus !". La situation crée des tensions dans un groupe qui n'est plus si uni. Il y a les modérés ("centristes !"), les révolutionnaires et les abstentionnistes. En clair, quelle alternative ? Cette première partie est sans doute la plus réussie du spectacle : le jeu est parfait tant sur le texte que sur le geste, et l'humour omniprésent. Le Raoul se joue des clichés pour mieux les retourner et les questionner. Au fil des discussions, hautement philosophiques, sur la beauté des espèces en voie de disparition et des synthèses poétiques, la rupture sévit jusqu'à ce qu'arrive Tina. Belle blonde aux idées claires, elle vient mettre tout le monde d'accord : "Il n'y a pas d'alternative !". T.I.N.A, There Is No Alternative. Cette réapparition d'un célèbre slogan thatchérien témoigne de sa parfaite actualité.

Forts de leurs expériences professionnelles propres, Romain David ("Amor Mundi"), Jérôme de Falloise ("Money"), David Murgia ("Discours à la Nation" passé notamment par l'aventure citoyenne "Tout autre chose"), Benoît Piret ("Money") et Jean-Baptiste Szézot ("Buzz") ont tout simplement voulu questionner l'ensemble, à l'heure d'un individualisme roi. Dans un final planté dans un désert rose, les cinq nous rappellent, dans l'obscurité de nos inquiétudes, de rester éveillés et prêts à intervenir. La menace qui guette est cette passivité tant critiquée par les situationnistes.

Véritable écriture de plateau, « Rumeur et petits jours » distille une joie d'être ensemble tout en la questionnant. Aucun des cinq ne dépasse l'autre et le propos intelligent passe le cap d'une mise en forme faussement légère et désordonnée (même si elle mérite quelques rodages par-ci par-là). En deux spectacles, le premier s'étant amusé de mettre l'individu face au groupe, le Raoul Collectif est parvenu à porter sur scène un regard original sur notre société avec ses yeux de génération Y faussement détachée et pleinement engagée.

Lisbeths

Ph. Nargis Benamor

Pietr voyage beaucoup pour son travail. Rencontrer Lisbeth dans une ville de province lui fait tourner la tête. L'aventure est avant tout physique, mais très vite elle s'interroge. Pourquoi continuer ? En quoi l'autre me tient prisonnier ? De cette très belle rencontre signée Fabrice Melquiot, on retient son couple, coincé dans cette chambre d'hôtel, lieu de leurs amours fugaces et sporadiques. Georges Lini, qui met également en scène, joue l'homme, fougueux retenu, prisonnier du charme de cette rencontre, là où Isabelle Defossé excelle dans la peau de cette femme, aux réactions parfois étranges et changeantes (d'où le « s » ajouté au prénom du titre), tantôt fragile presque craintive, tantôt pleinement entreprenante.

Vu à Avignon en 2014, on est ravi que ce spectacle arrive enfin sur nos scènes. De longs mois plus tard, on retient de ce tango sentimental, une sensualité exacerbée par l'exiguïté de l'espace de jeu. Rien n'est jamais grossier ou vulgaire, tant les sentiments s'expriment à fleur de peau et le jeu est maîtrisé. Une rencontre pour les amateurs d'histoires d'amour subtiles.

L'Homme Semence

Ph. D. R.

C'est une histoire étrange, presque une légende. Celle d'un hameau des Basses Alpes dont tous les hommes ont été décimés par les guerres napoléoniennes et impériales. Seules les femmes sont encore là, à vivre et survivre dans un isolement qui les prive de tout avenir. Jusqu'à ce qu'un représentant de la gent masculine repointe son nez. C'est en quelque sorte lui l'élu, celui qui permettra de redonner vie à cette population qui n'attendait plus que la fin. Il permet aussi aux femmes de retrouver leur corps par la caresse et l'étreinte.

Créé au dernier Festival de Spa, « L'Homme semence » s'inspire d'un troublant texte, aux mots simples, longtemps resté mystérieux, écrit par une certaine Violette Ailhaud en 1919 et récemment redécouvert. Annette Brodkom, la metteure en scène, a choisi de le monter sur scène, porté par une jeune Marie Avril habitée. Avec peu d'effets, si ce n'est ce grande voile coloré qu'elle entraîne dans une danse de la redécouverte de soi, elle porte les mots de cette renaissance de femmes. On le répète, l'histoire est fascinante, mais on aurait simplement préféré plus d'intensité et de sensualité dans ce qui s'avère un formidable témoignage féminin.

En bref voici encore trois reprises intéressantes, des spectacles qui tournent, qui tournent, qui tournent...

J'habitais une petite maison sans grâce, j'aimais le boudin

Ph. Alice Piemme

Récemment récompensé pour son oeuvre aux Prix de la critique, l'auteur belge  Jean-Marie Piemme plonge dans ses souvenirs d'enfance  pour parler d'une jeunesse à l'ombre des hauts fourneaux de bord de Meuse sérésienne. Philippe Jeusette (avec la complicité de Virginie Thirion) est encore une fois magistral dans ce témoignage de Belgique prolétaire des années cinquante. Inscrite dans une petite maison ouvrière, c'est l'histoire d'un jeune garçon qui s'extrait de sa condition poussé par un père qui souhaite donner mieux à son rejeton.

Au théâtre de l'Ancre à Charleroi, jusqu'au 14 novembre. Réservations : 071 314 079. À Verviers, le 9 décembre, à Nivelles le 7 janvier, à Louvain-la-Neuve du 19 au 30 janvier et à Seraing le 5 février 2016.

Six pieds sur terre

Ph. Karl Autrique

Avec la tendresse qu'on lui connaît, Jean-Luc Piraux s'inquiète joyeusement du temps qui lui reste à vivre. De l'angoisse des années qui filent, il en sort une heureuse leçon de vie. Moins inventif peut-être que ses précédentes créations ("Faut y aller", "En toute inquiétude"), l'acteur convainc encore dans ses habits de clown pas triste, toujours motivé à voir la vie du bon côté.

Silence

Ph. Yves Kerstius

Deux marionnettes grandeur nature et troublantes de réalisme, manipulées avec une dextérité telle qu'on en oublie les manipulatrices, nous emmènent dans la vie faite d'amour et de souvenirs d'un couple âgé, Élise et Jean, en maison de retraite. Mais que reste-t-il quand l'un s'en va avant l'autre ? Des gaufres ! Un must du spectacle familial qui émeut aux larmes à redécouvrir lors d'un des Midis Théâtre du Bozar et en tournée.

Nicolas Naizy