Sébastien Tellier le Carioca

par
Jerome
Temps de lecture 4 min.

La force de Sébastien Tellier est de suivre son instinct et ses envies. Et ce n'est pas une lapalissade de dire cela. Notre barbu géant vit réellement chaque album comme une période de sa vie pleine et entière avec une liberté créatrice complètement déconnectée de toute contingence. Il nous emmène aujourd'hui du côté de Rio, un Brésil naïf et fantasmé fait de tous ces clichés qui rendent les choses légères.

 

On vient à peine de vous quitter avec votre album «Confection» et vous revenez déjà avec celui-ci.

«En fait, ‘Confection' était un side-project. J'avais écrit des chansons pour la mort de ma grand-mère comme un hommage, puis on est venu me demander de les utiliser pour un film romantique. J'ai donc enregistré cette musique qui n'apparaît finalement pas dans le film. C'était dommage d'avoir fait tous ces morceaux, avec un super-orchestre et un super-studio. Je les ai donc sortis. Mais j'étais déjà en train de travailler sur ‘L'Aventura', depuis même avant ‘My God is Blue'. C'est un album qui m'a pris beaucoup de temps en fait. Et puis, à l'approche de la quarantaine, je commence à sentir que les choses vont plus vite. Je deviens donc boulimique de musique, il faut que j'en fasse. Finalement c'est ça le rôle d'un artiste: exposer son âme. Il ne faut évidemment pas que je fasse tout ce qui me passe par la tête, mais je veux quand même montrer mes périodes. La vie d'un homme est faite de paliers intellectuels, de vérités qu'on découvre et qu'on rejette... C'est ça que j'essaye de décrire, et c'est pourquoi il faut sortir des trucs vite.»

 

Et à la manière d'un Picasso, vous avez une période bleue, et ici une période carioca.

«Oui, mes maîtres, comme les Beach Boys, Picasso ou Dali, sont des gens qui ont commencé sagement en faisant des tableaux très techniques et sérieux, et qui ont évolué vers le naïf. C'est comme ça que je vois l'évolution d'un artiste: se détacher de tout et aller vraiment vers l'art naïf. Faire ce qu'aurait rêvé faire un enfant mais avec la technique d'un adulte, pour créer un art qui soit délaissé de cynisme, de degré, qu'on ne peut réellement situer socialement, et qui dit tout mais n'est rattaché à rien. Mes pères en art ont pensé comme cela, donc je les suis comme un mouton. Et c'est pour ça que ‘L'Aventura est comme il est parce que j'ai vraiment envie de me rapprocher des mélodies enfantines, naïves, qui ne suggèrent rien d'autre que le plaisir. L'enfant résonne souvent en ‘j'aime j'aime pas'. Et c'est devenu mon dogme pour tout mon art. Le Brésil m'attire, donc j'aime. Je me ravis de tous les clichés, de tous les stéréotypes. C'est vraiment l'album d'un Français qui rêve du Brésil, mais qui n'y passe pas sa vie. Par contre, je me suis associé à de grands maîtres de la musique brésilienne, comme Arthur Verocai qui est un maître de l'arrangement. Il y a une différence entre un simple musicien et un maître. Ils ont le pouvoir de traduire en note n'importe quelle émotion. Je voulais les dernières secondes du coucher de soleil, et il savait comment exprimer cette sensation. Les violons sont extrêmement beaux. D'ailleurs, je ne saurais trop recommander à ceux qui détesteraient mon album d'écouter les cordes parce qu'ils sont réellement magnifiques.»

 

Donc des artistes brésiliens mais au service de votre idée fantasmée du Brésil, un peu année 70.

«Voilà, complètement. Mon but n'est absolument pas de faire un truc réaliste, une musique réellement brésilienne. Je veux créer une œuvre, et il se trouve que cette œuvre est une enfance réécrite qui se déroule au Brésil. Il fallait donc que je replante le décor.»

 

Ce rapport à l'insouciance est un peu le fil rouge de tous vos albums.

«Oui, fuir la réalité. Parce qu'on est dans un monde qui est réellement trop fermé. Tout est tellement interdit, archi-fliqué, il faut dire le moindre centime que l'on gagne, etc. Moi, je suis hyper mal à l'aise dans ce truc. On n'a même plus le droit de fumer des clopes en boîte (rires). Pourtant, on a besoin de moments pour exploser. Les loisirs sont très rares. Et moi, je me bats à travers mes disques pour la liberté de penser, comme Florent Pagny (rires), mais également la liberté d'agir. Il faut qu'il y ait des espaces de liberté. Et je déteste aussi cette société qui a encore un goût pour la puissance, qui admire encore les puissants. Les chefs sont toujours ceux qui ont la force. Mais c'est quoi ces conneries (rires). C'est pour cela que je m'échappe dans le rêve. Et encore, je suis privilégié, je surfe sur la vague du bonheur et du succès.»

 

Pierre Jacobs

 @pjacobs000

Sébastien Tellier «L'Aventura» (Record Makers)