Rencontre avec Maxime Chattam : « Je ne suis pas gore, je suis réaliste »

Le maître du thriller revient avec «Un(e)secte» pour nous plonger au milieu des milliards de petites bêtes qui fourmillent sous nos pieds sans que l'on s'en rende compte. Un roman glaçant qui révèle le mal grouillant dans notre société.
par
ThomasW
Temps de lecture 5 min.

Combien y a-t-il d'insectes sur terre par rapport aux êtres humains? C'est à partir de cette question vertigineuse qu'est né, au détour d'une balade en forêt, le nouveau roman de Maxime Chattam: Un(e)secte. Si la question donne le tournis, la réponse fait froid dans le dos: pour chaque être humain sur cette planète, il y a un milliard et cinq-cents millions d'insectes qui grouillent sous nos pieds. Un terrain parfait pour le maître du thriller qui joue sans cesse avec nos peurs.

Surtout, un terrain qui lui était déjà un peu familier, depuis ses cours d'entomologie, lorsqu'il était étudiant en criminologie. «La plupart des insectes sociaux ont des règles très strictes. Ils obéissent à des codes et n'en dérogent jamais», explique Maxime Chattam. «Beaucoup ont des reines, ou des équivalents de reines. Dans le roman, je parle de nos reines à nous. Elles sont moins nommées, mais notre monde aujourd'hui obéit clairement aux reines du capitalisme et de la consommation. Les GAFA sont une belle illustration de ces reines.»

«Un bon thriller pose des questions»

«L'insecte, c'est donc une métaphore de l'être humain, de notre civilisation. Les hommes comme une secte au service du consumérisme». S'il ne se revendique pas comme écrivain politique, Maxime Chattam est clairement un auteur de convictions et d'engagements. «Pour moi, un bon thriller c'est du divertissement qui va vous interroger et vous amener à vous poser des questions. Quand je parle de cette société que j'invente, EneK, que je rattache aux GAFA qui, eux, existent vraiment, c'est évident. Ces grands groupes façonnent le monde au quotidien, et d'une certaine manière, le dirigent. C'est un livre qui pose des questions sur ce que l'on est en tant qu'individu, dans un système de consommation poussé à outrance. Et sur le prix de la vie.»

Ces grandes entreprises prêtes à contrôler le monde grâce à des milliards de petites bêtes manipulées, science-fiction? Pas tout à fait, rétorque Maxime Chattam. «On est dans quelque chose qui pourrait se produire», soutient l'auteur. «Aujourd'hui, en 20 ans, quelqu'un peut passer de l'anonymat à quasiment maître du monde. Et quand on a une fortune personnelle de 20 milliards$, et que l'on a aucun compte à rendre à personne, on fait ce que l'on veut avec son empire. Il n'y a pas de garde-fou absolu aujourd'hui. C'est un scénario un peu dramatique, sûrement un peu exagéré mais techniquement, tout ce qui est dans le roman est faisable si on en a les moyens. Et des entreprises qui font des trucs hallucinants, il y en a chaque année.»

La manipulation des insectes, justement, cela fait plus de dix ans que des chercheurs américains se penchent dessus pour l'armée, nous apprend l'écrivain. Le roman est d'ailleurs parfaitement documenté, une règle à laquelle Maxime Chattam ne déroge jamais. «Derrière chaque élément que j'écris, je dois pouvoir y répondre de manière pragmatique. Si je n'ai pas de réponse cartésienne à un problème que j'énonce, je ne vais pas dans cette direction-là. Ensuite, tout ce qui sert le récit et la manipulation du lecteur, j'y vais, mais je m'arrête au moment où ça devient gratuit.»

«Je ne suis pas gore, je suis réaliste»

D'ailleurs, l'étiquette de «gore» que l'on lui colle souvent, Maxime Chattam la réfute vigoureusement. «Je n'aime pas l'idée de gore. J'assume de faire des romans noirs, des romans qui font peur. Mais le côté gore, c'est de l'artifice. Je suis un auteur réaliste. Lorsqu'un enquêteur se trouve face à un cadavre en décomposition, je ne vais pas dire ‘l'odeur était abominable'. Ça ne m'intéresse pas. J'ai été sur des scènes de crimes, j'ai assisté à des autopsies, j'ai vu des cadavres en décomposition. Ce qui m'intéresse, c'est de trouver deux mots ou un paragraphe pour décrire l'odeur… Et vous, vous allez vous dire que c'est horrible! Ce n'est pas gore, c'est réaliste. Si je le fais, c'est que ce n'est pas gratuit mais que j'ai une idée derrière la tête, que je veux vous mettre dans un état d'esprit particulier. Ainsi, quand je vais arriver avec mon discours sociologique sur ce dont j'ai réellement envie de parler, il sera plus impactant parce que vous aurez vu les dégâts que ça a fait. Vous aurez été conditionnés.»

Clin d'œil à cette étiquette qu'il déteste tant? Celui qui nous emmène dans cette nouvelle enquête n'est autre que… Atticus Gore. Détective à Hollywood, loup solitaire, flic atypique et raide dingue de métal. Un personnage qui a même su surprendre son créateur. «Habituellement, je suis un totalitaire! Je crée le personnage qui va être au service du récit, raconter l'histoire. C'est toujours comme ça que ça se passe. Et là pas de bol, avec Atticus Gore je me suis laissé dépasser. Je me suis pris d'affection pour lui. Il devait lui arriver des trucs bien pires, mais je n'en avais plus envie. À tel point que j'avais écrit ce roman pensant qu'Atticus Gore serait un personnage qu'on ne reverrait jamais, et à la fin j'avais la conviction absolue et totale qu'il reviendra! Ce personnage m'ouvre tellement porte sur ce qu'il est lui-même que j'ai envie de continuer ce voyage avec lui, pour une histoire, voire plus.» Ce qui est certain, c'est qu'avec plus de 25 livres au compteur et des millions d'exemplaires vendus à travers le monde, le cerveau de Maxime Chattam bouillonne toujours autant. Pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

Oriane Renette