Rencontre avec Lubna Azabal, la plus internationale des actrices belges !

C'est la plus internationale des actrices belges! Révélée au grand public grâce à ‘Incendies' de Denis Villeneuve, Lubna Azabal a le chic de toujours impressionner. Lumineuse en mère célibataire dans ‘Adam', elle se réjouit de porter un drame aussi délicat sur la condition des femmes au Maroc… et partout ailleurs.
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

C'est vrai que le film est basé sur une histoire réelle?

Lubna Azabal: «Oui, la réalisatrice a vécu ça étant petite. Une jeune femme enceinte est venue frapper à la porte de ses parents pour demander un toit, et ils l'ont accueillie. C'est une triste réalité au Maroc: chaque année, on retrouve des milliers de nouveaux nés perdus entre deux poubelles.»

Vous connaissiez cette situation?

«Ça existe ailleurs aussi. Ce sont des sociétés régies par la religion et le patriarcat. Ce que je ne savais pas, c'était l'ampleur des dégâts. La plupart de ces jeunes filles finissent par se prostituer pendant leur grossesse, et restent en marge pour le restant de leur vie. Et l'enfant porte le poids de ce passé-là en devenant un fils de bâtard. On est dans des configurations moyenâgeuses, régies par des croyances ancestrales extrêmement dures.»

Pourtant l'histoire est d'une douceur extrême.

«Pour moi, ce huis clos à trois nanas parle de la moitié de l'humanité. C'est important de dire qu'elles sont trois car la gamine est une femme aussi. C'est la prochaine génération et elle absorbe tout. L'air de rien ça parle du bonheur disparu parce que la société décide de penser à votre place. Et donc de la place, eh bien vous n'en avez pas!»

Ça a réveillé des échos à votre vie personnelle?

«Je me suis approprié l'histoire à travers le prisme de l'actualité, pas via la dynamique familiale d'Abla, mon personnage. Moi, je n'ai pas d'enfant. Je n'ai pas la fibre maternelle et je ne sais pas ce que c'est de devoir être arrachée à ça. Mais j'ai voyagé et j'ai vu des femmes contraintes de se soumettre, sous peine de se prendre des coups de pierre en pleine figure ou de finir brûlées vives. Je n'avais donc pas besoin de connaître la situation d'Abla ou de Samia personnellement, il suffit de regarder autour de nous.»

Comment avez-vous décroché ce rôle?

«Je connais Maryam Touzani, c'est une amie. Je savais qu'elle allait réaliser son premier long-métrage et quand j'ai lu son scénario je l'ai trouvé magnifique. Je lui ai donc suggéré de me faire jouer Abla. Et j'ai été lourde (rires)! J'ai dû insister car elle cherchait quelqu'un de né là-bas. Et puis mon accent marocain, il est super précaire. Je parviens à dire les mots mais quand je l'ouvre, on dirait Jane Birkin qui parle français. Bref, j'ai dû bosser.»

Vous avez gagné plusieurs Magritte en neuf ans. Ça fait quoi?

«Je ne vais pas te mentir: ça fait super plaisir! Déjà parce qu'il a fallu je ne sais pas combien d'années à la Belgique pour réaliser que je ne suis pas Française. Peut-être parce que j'ai vécu à Paris pendant 15 ans. Mais bon, Natacha Régnier vit là-bas aussi (rires).»

Stanislas Ide

Notre critique de "Adam"

Chez qui vous cacheriez-vous si vous n'aviez nulle part où aller? Samia (Nisrin Erradi) est enceinte mais ne veut pas que sa famille le sache. Malgré la fatigue, elle frappe à toutes les portes de Casablanca pour trouver du travail et tenir le coup jusqu'à l'accouchement. Tout le monde la repousse, même Abla (Lubna Azabal), une veuve aigrie vivant recluse avec sa fille. À moins qu'elle ne finisse par céder? On sentait bien que l'actrice Maryam Touzani (‘Razzia' de Nabil Ayouch) en avait sous le coude, et c'est derrière la caméra qu'on la retrouve pour un huis clos lumineux. Avec une douceur infinie, elle filme la rencontre de deux femmes qu'une société conservatrice s'est permis de brider. L'une est terrifiée de s'attacher à l'enfant qu'elle devra quitter, et l'autre s'est protégée dans sa forteresse au point de perdre tout plaisir de vivre. Très prévisible, le film délivre tout de même un flot d'émotions grâce à ses actrices et son sens de l'image. Un joli plaidoyer pour la solidarité.(si) 3/5