Nicolas Keramidas se livre dans « À cœur ouvert » : «Il y a une similitude entre être confiné et être hospitalisé»

En 1973, Nicolas Keramidas a été l'un des premiers bébés en France à être opéré à cœur ouvert. 43 ans plus tard, il a dû subir une nouvelle opération. Dans « À cœur ouvert » sorti ce 29 janvier aux éditions Dupuis, il raconte son histoire.
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.
Nous l'avons rencontré.

Nicolas Keramidas, qui êtes-vous ?

« Je m'appelle Nicolas Keramidas. J'ai 48 ans. J'ai fait un bac A3 de dessin, qui n'existe plus aujourd'hui. J'ai enchaîné en suivant une formation à l'école de dessin animé Gobelins à Paris. Ensuite, j'ai travaillé dix ans pour les studios Walt Disney sur des longs-métrages comme ‘Tarzan', ‘Hercule' et ‘Le Bossu de Notre-Dame'. J'ai arrêté au moment où la 3D commençait à arriver. Je suis resté dans la vieille école et je me suis rappelé que ma première passion, c'était la BD. Je me suis donc lancé dans la bande dessinée. Avant ‘À cœur ouvert', j'ai fait 18 albums. »

C'est une grande première pour vous car c'est votre premier album autobiographique mais aussi votre premier album à la fois en tant qu'auteur et dessinateur. Comment avez-vous vécu cela ?

« C'était tout le défi. Au début, j'ai même failli en faire un roman car je me demandais justement si j'allais réussir à tout gérer tout seul. Je savais que j'allais partir sur roman graphique, sur un gros pavé, et que ça n'allait pas être une BD de 46 pages. Je savais donc que je partais dans quelque chose de beaucoup plus difficile à maîtriser. Ça a été compliqué. Au début, j'ai commencé par écrire une succession d'anecdotes mais il fallait ensuite mettre tout ça en place. Heureusement, Dupuis, mon éditeur, m'a accompagné dans l'accouchement de l'ensemble ».

Au final, « À cœur ouvert » fait 200 pages. Aviez-vous des contraintes ?

« Non. Mais au départ, le bouquin devait faire 100 pages en noir et blanc. Comme c'est ce qu'on raconte qui définit la pagination, au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu'on allait partir sur 200 pages en couleurs. Le projet n'a fait qu'évoluer sans arrêt, mais toujours pour le bien du projet. Ce que j'aime bien, c'est que pour la première fois après 18 albums, je peux tout assumer de A à Z. Ce côté ‘auteur complet' que je n'avais jamais eu est vraiment plaisant. Je suis content que ça arrive sur un projet comme celui-ci car c'est moi et mon histoire.

Dans l'album, vous racontez que le projet est né en juin 2016 quand vous avez appris que vous alliez devoir subir une nouvelle opération à cœur ouvert, 43 ans après la première.

« En janvier 2016, il y a eu l'incident sur un terrain de foot. Je n'avais pas prévu d'écrire un bouquin à ce moment-là. Ensuite, j'ai commencé à faire un tas d'examens mais on n'était pas encore sûrs de m'opérer à cœur ouvert. Tous ces examens avaient pour but de voir s'il n'y avait pas une solution alternative et beaucoup plus light.  Jusque-là, je n'avais donc pas pris de notes. Mais quand j'ai appris que ça allait être à cœur ouvert, j'ai décidé tout de suite de tout noter. Je me suis tout de suite rendu compte que j'avais déjà oublié un paquet d'examens que j'avais passé entre janvier et juin. Je ne savais pas encore que j'allais en faire un bouquin mais c'était une phase que je n'avais pas envie d'oublier. »

Ph. À coeur ouvert par Keramidas © Dupuis 2021

Est-ce que l'écriture vous a aidé à traverser cette épreuve ?

« Effectivement, il y a un côté thérapie là-dedans. Il y a des gens qui intériorisent tout ça et moi j'avais besoin de coucher tout ça sur papier. Ça m'a fait un bien fou de noter non-stop tout ce qui se passait »

Vous expliquez aussi que la « projection dans le temps » vous a beaucoup aidé. En quoi ça consiste ?

« Pour moi, c'est exactement ce qu'il se passe en ce moment avec le confinement. Il y a une similitude entre être confiné et être hospitalisé. On est mieux physiquement mais on a les mêmes contraintes et ce n'est pas très drôle. Avec ce bouquin, les gens vont découvrir le confinement, l'intubation. Ce qui aide les gens à tenir, c'est de se dire que cet été, ils pourront peut-être aller à la mer et au restaurant. Quand j'étais à l'hôpital, je fantasmais de pouvoir sortir. Quand on m'a opéré, on m'a raconté qu'il fallait attendre trois mois pour que je sois à nouveau bien.  Ce qui me faisait tenir, c'était de me projeter après ces trois mois. Quand j'étais sur mon lit, je me suis dit que j'allais aller à des concerts, que j'allais aller flasher des Invaders (Ndlr : les œuvres de street art en mosaïque de l'artiste Invader) en France et partout dans le monde. Ça donne tout simplement un but. »

Vous livrez un récit très personnel que vous partagez avec beaucoup de personnes. Que ressentez-vous par rapport à ça ?

« Je ne me pose pas plus de questions que ça. La question de partager ça avec tout le monde, je me la suis posé au moment où j'ai attaqué le bouquin. C'est un contrat que l'on passe avec soi-même : soit on est prêts à se livrer, à se mettre à nu et à tout assumer, soit on ne le fait pas. Si je n'avais pas été prêt à montrer mon zizi en dessin, ce n'était même pas la peine d'envisager un bouquin comme celui-là. Une heure après être arrivé à l'hôpital, j'étais tout nu devant des infirmiers et des infirmières et là-bas, j'étais tous les jours le cul à l'air avec une blouse devant tout le monde. Pour moi, tout ça est assumé et digéré depuis que j'ai commencé à faire le bouquin. Maintenant, je suis juste content que ça sorte enfin, car à la base il devait sortir en avril 2020, et que les gens puissent le lire. »

Votre récit va forcément toucher, voire inspirer, des personnes qui ont vécu le même type d'opération. Avez-vous déjà eu des retours ?

« Beaucoup. C'est assez déstabilisant et j'avoue que je ne l'avais pas spécialement vu venir. J'ai reçu beaucoup de mails et de messages. Mais je ne peux pas et je ne veux pas être le porte-parole de tous les opérés du cœur car je me rends compte qu'on n'a pas tous le même ressenti. Je vois qu'il y a des gens que l'opération a traumatisé, bouleversé et qu'ils ont très mal vécu tout ça. En fait, moi je ne l'ai pas mal vécu. C'est mon expérience et mon propre vécu. Ça fait vraiment bizarre de recevoir tout ça mais je crois que c'est normal. »

Le dessin est très gentil, proche d'un dessin animé, et contraste parfois avec les moments difficiles que vous livrez. Est-ce que ce style graphique était une évidence pour vous ?

« J'ai choisi le style qui me paraissait le plus approprié et surtout le plus naturel pour moi. Il fallait que je me lance dans quelque chose que j'assume pleinement donc j'ai choisi un style cartoon qui était fluide et naturel pour moi. Au début, j'ai quand même voulu le dessiner en animalier. Mais comme je me dessine toujours comme un cochon, le fait de m'imaginer en cochon sur la table d'opération, ça ne ressemblait à rien et on s'est dit que c'était une idée à la con. J'ai donc choisi un style graphique où je n'allais pas trop galérer pendant 200 pages. »

D'un point de vue santé, comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

« Je me sens très bien. En fait, on m'a opéré pour l'avenir. C'était plus une opération d'anticipation qu'une opération d'urgence. C'est une opération qui a été planifiée et dont le résultat n'était pas pour demain mais pour le futur. Mais au final, les médecins ont constaté qu'il y avait des résultats dans le présent. Aujourd'hui, je peux même retourner sur un terrain de futsal, ce que je n'imaginais jamais après l'incident qui a déclenché l'opération. J'avais fait une croix dessus et c'est une grande victoire. »

Propos recueillis par Thomas Wallemacq

"À cœur ouvert", de Nicolas Keramidas, éditions Dupuis, 208 pages, 17,5 €

Nicolas Keramidas était l'invité de l'émission 28 minutes sur Arte ce lundi 1er février. Découvrez son passage :