Metro a 20 ans: "Alors que beaucoup de jeunes arrêtent de lire le journal, nous parvenons à les faire lire"

L'histoire de Metro est en grande partie celle de sa directrice générale, Monique Raaffels, et inversement. Elle a assisté il y a 20 ans à la naissance du journal et a piloté le navire pendant toutes ces années dans des eaux agitées et parfois même tempétueuses.
par
Camille
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2020 devait être une grande fête d'anniversaire pour Metro, mais le coronavirus en a décidé autrement. Quel est votre regard sur les mois écoulés?

«Le confinement n'a pas été une période agréable. Nous avions espéré organiser au printemps une séance académique, nous voulions mettre sur pied une grande fête pour tout le monde ici et toutes les personnes impliquées dans Metro dès le début... Nous sommes en quelque sorte un peu comme la poule qui n'a pas pu pondre son œuf. J'ai aussi été en proie à beaucoup de questions et de doutes, et je m'inquiétais pour toutes les personnes qui travaillent chez nous. Heureusement, après quelques semaines, de nouvelles idées ont fait surface. C'est une platitude, mais 'never waste a good crisis'.»

En parlant de nouvelles idées, qui a eu l'idée il y a 20 ans de lancer un journal gratuit en Belgique?

«Cette idée vient à l'origine de Suède, où l'homme d'affaires Jan Stenbeck avait lancé le concept du journal gratuit. Il avait étudié où se trouvaient les personnes avec des profils intéressants en journée et il est apparu qu'il s'agissait souvent du bus, du tram ou du train. L'idée d'un journal gratuit distribué dans les transports en commun a immédiatement été couronnée de succès. Tellement même que presque tous les pays européens se sont demandés s'ils pouvaient aussi le faire. Cela a donné naissance à différentes organisations, dont Metro International, qui s'est mis au travail de façon très agressive. Ils louaient pour ainsi dire un étage d'un hôtel et sortaient en deux semaines un journal. Ils sont venus, ont vu et ont vaincu. En Belgique, nous nous sommes demandé si nous devions laisser ce concept à d'autres. À une organisation sur laquelle nous n'aurions aucun contrôle et pour qui ce serait un walk-over total. Nous ne pouvions pas laisser faire cela. Le résultat a été la réunion de plusieurs investisseurs et un journal gratuit dont la première distribution dans les gares s'est faite le 3 octobre 2000.

Belga

En ce qui me concerne, je suis entrée en fonction chez Metro en mai. À l'époque, il n'y avait encore rien de prêt. Pas de contrat avec un imprimeur ou un distributeur, aucun employé. Trois mois plus tard à peine, le 5 septembre, le jour où on est venu livrer les bureaux dans nos batiments, tout était prêt et tout le monde, rédaction, marketing, sales et logistique, s'était mis au travail.»

Quelles ont été les réactions du secteur lors du lancement de Metro?

«Le jour de la toute première parution, nous avons trouvé dans notre boîte aux lettres un ordre de cessation émanant de Metro International. Cela en dit long. Depuis quelque temps, ils se montraient intéressés à reprendre une partie de nos actions. Les discussions étaient plutôt folkloriques, avec des Suédois qui chiquaient tout le temps du tabac et dont la soucoupe de leur tasse de café débordait de restes de tabac après la réunion! Donc, au lieu de lever un verre à la première édition, nous nous retrouvions les jambes en coton et des tabloïds du monde entier sous le bras au tribunal de Bruxelles pour prouver que nous n'avions pas commis de plagiat. Heureusement, le juge a statué en notre faveur.»

Jusqu'à quel point la critique a-t-elle parfois été vicieuse?

«Les premières réactions n'ont pas été dictées par la critique, mais par la peur du produit Metro. J'étais l'éditrice responsable et mon adresse figurait dans le journal, si bien que j'ai reçu plusieurs lettres de menace. On a même livré un rat à la rédaction, dont on avait tranché la gorge! Je peux prendre des coups, mais cela dépassait les bornes. Ce qui est hallucinant, c'est que nous avons reçu ensuite un fax demandant si nous avions bien reçu le 'petit colis', avec le numéro de fax de l'expéditeur clairement indiqué. Après une demi-heure, la police savait qui avait commis cet acte: il s'agissait du gérant d'un kiosque à journaux qui craignaient de ne plus vendre de journaux.

Bref, le lancement a été plutôt stressant, c'est un euphémisme, mais en même temps cette première édition a apporté beaucoup de satisfaction. J'ai pris le train pour Bruxelles et j'ai vu tous les gens autour de moi qui lisaient le journal. Vous avez envie à ce moment-là de vous lever dans le wagon et de crier: 'C'est notre travail, c'est nous qui l'avons fait'.» (rires)

Y a-t-il des jours de ces 20 dernières années que vous n'oublierez jamais?

«Le 11 septembre 2001, indubitablement. Il n'y avait pas seulement les tours, mais le monde entier était en feu et nous n'avions pas la moindre idée des conséquences. L'incrédulité était totale. À la fin de cette journée surréaliste, j'ai reçu par-dessus le marché un message de l'imprimerie m'indiquant que nous n'aurions pas de Metro le lendemain matin. L'édition européenne de USA Today avait tellement augmenté son tirage que notre créneau était pris. Je me souviens encore de ma réaction mot pour mot: 'Le monde est en feu et nous n'avons pas de gazette demain. Cela ne se passera pas comme ça'. Et heureusement, le lendemain il y avait un journal dans les gares.»

Belga

Qu'est-ce qui s'est avéré le plus difficile au fil des ans?

«Pour moi personnellement, c'est l'impression de devoir à chaque fois faire la preuve de la valeur de notre produit face à certaines personnes critiques. Dans une période où beaucoup de jeunes arrêtent de lire le journal, même si leurs parents le déposent devant eux sur la table de la cuisine, nous parvenons à le faire lire par la jeunesse en âge scolaire. Depuis des années, nous réussissons à apporter les news à de nombreuses personnes sans qu'elles ne doivent payer pour cela. Nous n'avons jamais prétendu être les plus grands, les plus malins, les plus rapides ou les plus beaux, mais nous sommes très bons dans ce que nous faisons.»

De quelle réalisation de Metro êtes-vous la plus fière?

«L'énorme flexibilité de notre entreprise, ce qui est vraiment un mérite de toute l'équipe. Les publicités classiques disparaissent petit à petit et tout est actuellement fait sur mesure pour le client. Quand on voit comme nous sommes flexibles et ce que nous pouvons réaliser dans un délai très court… Je n'ai pas encore vu les autres le faire. J'en suis vraiment très fière.»

Il y a quelques personnes qui depuis le début travaillent avec vous chez Metro. Comment décririez-vous le lien avec elles?

«On dirait que nous avons parcouru ensemble un marathon. Je sais que je continuerai à avoir des contacts avec elles après la fin de ma carrière. Ce sont des collègues dont je sais qu'ils me connaissent très bien, qui peuvent se battre et me rappeler à l'ordre entre quatre yeux. Avoir cette latitude et cette dynamique avec vos collaborateurs, c'est très motivant.»

Y a-t-il des réalisations professionnelles importantes que vous n'oublierez jamais?

«Il y en a beaucoup, mais elles sont souvent noyées dans les tâches journalières. Je suis aussi une personne qui est rarement satisfaite, probablement à la grande frustration de mes collaborateurs. Chez moi, tant la joie que les revers sont toujours de très courte durée, aussi dans ma vie privée. Je vais toujours de l'avant et je suis constamment à la recherche de la nouveauté. Bien entendu, je tire des enseignements de certains événements et je veux que cela soit mieux la prochaine fois, mais je ne garde pas ça en moi.»

Quels sont les projets pour Metro dans les années qui viennent?

«Je veux m'investir fortement dans le marketing numérique et créer un meilleur équilibre entre la composante imprimée et la composante numérique. L'expérience totale que nous pouvons offrir aux clients, via de nouveaux produits que nous distribuons dans les gares, parallèlement à une campagne dans Metro et par exemple un concours, est très importante. De plus, nous organisons depuis peu aussi des bootcamps vidéo virtuels, dont les premières réactions sont incroyablement positives.»

Clairement, vous ne ralentissez pas la cadence.

«Je déborde encore d'énergie pour mon job et cette entreprise. Même si bien évidemment j'ai pris plusieurs fois des coups au fil des ans, récemment encore à cause du coronavirus, mais c'est humain. Vous vous souciez de vous-même, mais encore plus des gens avec lesquels vous travaillez. Nous ne sommes pas une énorme entreprise, donc vous connaissez tout le monde. Vous savez qui a des enfants ou qui veut acheter une maison. Vous voulez franchir la montagne avec eux et ce n'est pas toujours facile.

Je vais bientôt avoir 63 ans et j'ai l'intention de rester aussi longtemps que je suis pertinente. Pas question pour moi d'être de la dead meat, une chose que l'entreprise doit traîner avec elle. Mais pour l'instant je me lève encore chaque jour à 6 h afin d'ennuyer mes collaborateurs avec des messages WhatsApp à propos de publicités parues dans d'autres journaux. (rires) Donc, tant que l'étincelle brille dans mes yeux, et c'est encore toujours le cas, la motivation et l'énergie ne disparaîtront pas.»