Menons l'enquête sur l'Arum tacheté, le "kidnappeur des sous-bois"

À l'abri des regards indiscrets, il manigance un mauvais coup. Pourquoi l'arum tacheté cache-t-il ses fleurs au fond d'un trou? Séquestre-t-il réellement de pauvres innocents après les y avoir attirés et piégés? Il s'agirait d'une étrange stratégie de reproduction… Menons l'enquête!
par
ThomasW
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   En latin, on le nomme Arum maculatum. Un nom inspiré des taches sombres et irrégulières présentes sur les feuilles de certains sujets. On le connaît aussi sous le nom de «gouet tacheté» ou «pied de veau». C'est une plante d'ombre que l'on trouve, poussant en touffes, dans les bois, les taillis, les haies, les vergers et les jardins. Il est largement présent en Wallonie, mais absent d'une bonne partie de l'Ardenne.

À la fin de l'automne, toute trace de la plante a disparu. Dans le sol se cache le tubercule contenant les réserves nutritives. À la fin de l'hiver, les feuilles émergent du tubercule. Elles ont la forme caractéristique d'un fer de flèche. Au printemps apparaît, au milieu des feuilles, une sorte de cornet vert pâle bien enroulé, appelé spathe. Elle entoure le spadice, un axe charnu de 20 à 50 cm. De minuscules fleurs se cachent à sa base, protégées par un renflement de la spathe. On en trouve une cinquantaine, mâles et femelles, surmontées d'un anneau de poils. Au-dessus, on aperçoit un appendice charnu et violacé en forme de massue.

Indispensables auxiliaires

Il est de règle dans le monde végétal d'éviter l'autofécondation. Le pollen d'une plante doit de préférence féconder une autre plante. L'arum a mis au point, pour ce faire, une stratégie étrange. Tout au fond de leur cachette, à l'intérieur de la spathe, les étamines ne peuvent, pour disséminer leur pollen, ni compter sur le vent, ni sur les butineurs. Le transport des précieux grains a donc été confié à de petits diptères (des mouchettes) du genre Psychoda. Pour attirer ces indispensables auxiliaires, le spadice de l'arum répand une odeur attractive, mélange d'effluves d'urine, de sueur, et d'autres délicieux parfums que les mouchettes apprécient particulièrement. Sa couleur et sa température, supérieure à la température ambiante, jouent aussi un rôle.

Le premier jour, les mouchettes atterrissent ainsi à l'intérieur de la spathe et tombent dans le piège: une surface glissante les conduit inexorablement à traverser l'anneau de poils savamment orientés pour faciliter leur descente. Elles se retrouvent ainsi, comme dans une nasse, prisonnières de la loge qui abrite les fleurs. À ce moment, les fleurs femelles sont prêtes à recevoir le pollen mais les fleurs mâles ne sont pas encore mûres. Ainsi, aucun risque d'autofécondation.

Jusqu'à 4.000 individus dans une seule plante

Le deuxième jour, les mouchettes séjournent dans la poche: on a pu dénombrer jusqu'à 4.000 individus dans une seule plante! Celles qui ont déjà visité une spathe, chargés de pollen, fécondent les fleurs femelles. Le troisième jour, l'arum n'est plus attractif. C'est au tour des fleurs mâles de mûrir et de répandre sur les mouchettes un autre nuage de pollen. Alors, les parois de la prison changent, les poils se flétrissent, et les prisonnières peuvent s'échapper, chargées du pollen de la plante qu'elles quittent. Puis, succombant aux appâts suaves d'une autre spathe, elles tombent dans le piège d'une plante au développement moins avancé, et le cycle reprend.

Au mois de juillet, les feuilles ont totalement disparu et il ne reste de la plante qu'un axe dressé portant en épis de jolis fruits verts puis rouges. Mais attention! Ces fruits, comme les autres parties de la plante, sont très toxiques. Toutes précautions prises, le joli feuillage, les baies colorées mais surtout la technique de reproduction du kidnappeur des sous-bois méritent pourtant qu'on s'y intéresse. Cette plante bio-indicatrice vous renseignera aussi sur les conditions du milieu: elle aime les sols humides bien aérés, bien drainés, riches en humus et enclins à la neutralité acide-base. Elle a toute sa place au jardin, au pied d'une haie par exemple.

Marianne Verboomen