Martin Eden : Un héros toujours d'actualité

Certains grands classiques ne perdent jamais de leur mordant! C'est ce que nous prouve le réalisateur Pietro Marcello en livrant son adaptation de ‘Martin Eden', le roman culte de Jack London. L'histoire d'un marin rêvant d'écrire pour monter l'échelle sociale, saluée par le prix du meilleur acteur au dernier Festival de Venise. Rencontre!
par
ThomasW
Temps de lecture 3 min.

Pourquoi avoir voulu réadapter l'œuvre de Jack London?

Pietro Marcello: «‘Martin Eden' suit le destin d'un autodidacte, d'un self-made man. C'est une histoire moderne, en cela que Martin se retrouve écrasé par son succès dans l'industrie culturelle, où l'on refuse qu'un individu se cultive par lui-même, sans aller à l'université pour obtenir un bout de papier. C'est toujours pareil aujourd'hui: ce sont les privilégiés qui accèdent au secteur culturel, pas les autres…»

Dans le film, Elena reproche à Martin de n'écrire que des histoires sur la pauvreté. Vous sentez-vous obligé de faire des films à caractère social?

«Je pense qu'une personne aisée ne comprendra jamais ce que cela signifie d'être pauvre. L'inverse peut arriver car le pauvre a souvent l'ambition d'améliorer sa condition. C'est pour cela que Martin oblige Elena, qui appartient à la haute bourgeoisie, à marcher dans les quartiers pauvres de Naples, même si elle le supplie d'arrêter.»

Le film brouille volontairement les repères temporels. Pourquoi?

«Pour montrer que les anciens dangers rôdent encore. En écrivant 'Martin Eden' en 1909, Jack London a anticipé de nombreuses tragédies du siècle à venir. On vit dans une époque où les influenceurs ont plus de poids que les écrivains. Et ceux-ci ne s'intéressent même plus à la lutte des classes, ni aux conflits entre les différents groupes sociaux. Je crois que c'est important de retourner à une conscientisation de nos communautés. Du fait qu'on y appartient, et qu'on doit parvenir à cohabiter avec les autres. Ça, c'est le socialisme. Pas dans son sens politique ou partisan, mais comme base du vivre-ensemble. Aujourd'hui, en Italie, on parle de fascisme comme si c'était normal. Mais il y a 40ans, personne n'imaginait que ce soit à nouveau possible.»

Est-ce pour cela que vous utilisez des images d'archives entre vos scènes?

«Je crois que le montage d'un film apporte un point de vue. Ce n'est pas neutre. Je viens du documentaire, où il faut constamment se préparer à l'inattendu. Et j'ai toujours mélangé ce que je tourne avec des images d'archives. Derrière les trajectoires de mes personnages, j'essaie de raconter l'Histoire avec un grand H. Et j'aime associer des photographies statiques avec des images dynamiques. Je ne veux pas que le cinéma soit aussi propre que la publicité. C'est malheureusement le cas ces temps-ci.» (si)

Notre critique de Martin Eden

Pietro Marcello (le réalisateur de ‘La bocca del lupo') n'a pas froid aux yeux. En plus de s'attaquer à l'un des piliers de la littérature, il a l'audace d'en modifier les traits les plus marquants. Véritable critique du rêve américain, ‘Martin Eden' suivait le parcours d'un jeune marin rêvant d'ascension sociale, avant de tomber dans l'amertume du succès. Un récit a priori bien gravé dans son contexte outre-Atlantique, à l'aube de la Première Guerre mondiale. En déplaçant l'action dans un décor napolitain, quelque part au milieu du 20esiècle, Marcello brouille les codes: photographie classique (on pense parfois à ‘La Meglio Gioventù'), costumes des années trente, échos syndicaux des années septante, musique électro… Tout est prévu pour nous emporter dans un tourbillon romanesque, et mieux sublimer le sujet central du livre de Jack London: la nature structurelle de l'injustice sociale dans nos sociétés. Un propos brûlant, mais pas du tout plombant, tant le charisme de l'acteur Luca Marinelli (sorte de Louis Garrel transalpin) nous accroche de bout en bout.(si) 4/5