Marc Lavoine: «Le chagrin nous construit»

Amoureux des mots et de la poésie, Marc Lavoine complète son album «Je reviens à toi» par trois chansons inédites. Des titres qui lui donnent l'occasion de revenir sur des moments bouleversants de sa vie mais également sur ceux qui l'inspirent musicalement parlant. 
par
Laura
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Dans cette réédition de votre dernier album ‘Je reviens à toi', vous livrez trois nouveaux titres qui font la part belle à l'amour et au chagrin. L'un ne va-t-il pas sans l'autre?

«Je crois que le chagrin nous construit. Il est inévitable mais est également source de joie. Il n'existe pas de chagrin sans apaisement, sans grâce. La tristesse est un manteau mortifère dont il faut se méfier, il peut nous entraîner dans une sorte de ritournelle permanente sur un retour vers soi. Alors que le chagrin, c'est s'abandonner, sortir de soi pour l'autre. Mon chagrin m'est venu en aide à 16 ans où je me suis retrouvé à travailler, où il m'arrivait de dormir un peu dehors et que je me demandais ce que j'allais faire de ma vie. Je me le demande toujours d'ailleurs.»

Pourtant, vous continuez dans la voie de chanteur puisque vous préparez déjà un nouvel album.

«Oui et il a avancé. Il parle beaucoup des femmes. Il y a notamment une chanson qui s'appelle ‘Il y a toujours une Marianne' et qui parle de cette femme qui s'assied dans un bus, qui n'a pas la couleur pour s'y asseoir et qui, quand elle fait ce geste, se soulève d'une certaine façon contre la société. J'ai confiance parce que le monde est tenu par les femmes aujourd'hui, en tout cas la société française.»

 

‘Un homme comme toi', la dernière chanson de ce bonus, sonne comme un dernier au revoir. À qui est-elle destinée?

«C'est pour un ami médecin qui a fait rebattre le cœur de ma mère trois fois et qui était pour moi un vrai guide. Ça m'a bouleversé quand il est mort. J'avais envie de faire cette chanson parce qu'il y a des gens qui ne devraient pas mourir. Malheureusement, son cœur s'est arrêté de battre alors qu'il en a fait rebattre des centaines. Il était pétillant, enthousiaste, jeune et magnifique.»

C'est assez symbolique du coup de finir l'album sur ce dernier au revoir.

«Oui. Mais la mère de mon premier enfant est morte à peu près au même moment. Ils sont partis et ne reviendront pas. Mais ils sont là avec nous, ils ont laissé des graines tombées de leur poche et des arbres ont poussé depuis ça. Un proverbe africain que j'aime bien dit d'ailleurs:'On entend un arbre qui tombe mais on n'entend pas la forêt qui pousse'. Il faut rester amoureux de la vie.»

Vous comptez des tubes intemporels parmi vos chansons. Quelle est la chanson que vous auriez rêvé d'écrire?

«Il y en a beaucoup. Mais il y a une phrase que j'aime bien dans la chanson de Leo Ferré qui s'appelle ‘Le bonheur' et qui dit que ‘le bonheur, c'est du chagrin qui se repose'. Donc ce serait une chanson comme ça même s'il y a des chansons actuelles que j'aime beaucoup.»

Lesquelles?

«De temps en temps, j'écoute des chansons d'Orelsan ou de Krisy avec qui j'ai travaillé ici à Bruxelles. D'ailleurs, aujourd'hui, certains jeunes qui font du hip-hop m'appellent pour travailler avec eux et ça m'intéresse beaucoup parce qu'ils savent très bien écrire. J'ai l'impression d'assister un peu à une nouvelle vague comme dans les années 80 où de jeunes chanteurs avaient mis une baffe aux chanteurs des 20 années précédentes. Feu! Chatterton, Orelsan, Krisy/De La Fuentes, Damso… tous ces gens-là sont en train de mettre un petit coup de balais.

Et il y a une coolerie dans ce qu'ils font, ce n'est pas du reproche ou du ressentiment. C'est quelque chose de très fort et de très fluide. Par exemple, le film d'Orelsan et Gringe, je l'ai vu une quinzaine de fois. Il est très bon et poétique et les textes sont fantastiques. Ils font de la réalité une poésie. Ce qui est intéressant avec ces jeunes artistes, c'est qu'ils ont adopté une forme de création qui me plaît beaucoup. Parfois ils me font marrer, comme 'Bonne meuf' de Orelsan.»

Laura Sengler