Les Misérables : "La prochaine révolution viendra de la banlieue", estime Ladj Ly

Inconnu du grand public il y a quelques mois, le cinéaste Ladj Ly fait une entrée remarquée dans la cour des grands avec ‘Les Misérables', un film d'action gonflé à bloc suivant trois flics dans une banlieue de Paris. Après avoir dynamité le dernier festival de Cannes, dont il est rentré avec le Prix du Jury, le réalisateur annonce la couleur: son film est un cri d'alerte… et un appel au changement!
par
ThomasW
Temps de lecture 2 min.

D'où est née l'histoire des 'Misérables'?

Ladj Ly: «Il y a quinze ans, je me suis mis à filmer les forces de l'ordre pendant leurs interventions dans la cité de Montfermeil, jusqu'au jour où j'ai assisté à une vraie bavure policière. Je l'ai postée sur internet, la presse l'a reprise, et les agents concernés ont été suspendus. C'était la première fois qu'une vidéo postée sur le net avait cet effet en France.»

Le film est donc ancré dans votre expérience. Avez-vous envisagé la voie du documentaire?

«Je suis un autodidacte, je n'ai pas fait d'école de cinéma. J'ai commencé par réaliser des documentaires (on lui doit la coréalisation de 'À voix haute', qui suit les préparatifs d'un concours d'éloquence à Saint-Denis, NDLR). Mais j'ai toujours voulu faire ce que j'appelle de la fiction réaliste. Dans 'Les Misérables', tout est tiré d'histoires vraies.»

Rassurez-nous, celle du lion volé par trois ados est inventée?

«Ah non, ça s'est passé quand j'avais 18ans! Tenez, regardez, j'ai une photo…»

Vous pensez que votre film peut avoir un impact positif à Montfermeil?

«Oui, c'est l'objectif! Que le film soit vu et qu'il lance un débat. C'est un vrai cri d'alerte car si on ne fait rien, la prochaine révolution viendra de la banlieue. C'est pour ça que j'ai adressé un message personnel au Président de la République. Il faut qu'il voie le film et qu'il trouve des solutions. Parce que nous, ça fait 20 ans qu'on est des Gilets jaunes. Donc oui, le film s'adresse aux politiques. Il leur dit: 'Bougez-vous, trouvez des solutions, vous avez été élus pour ça. Pensez au peuple, pas à vos amis'.»

Emmanuel Macron a répondu?

«On attend de voir ce qu'il décidera… (Selon Le journal du dimanche, Emmanuel Macron a vu le film et en est sorti chamboulé. Il a alors demandé au gouvernement d'améliorer les conditions de vie en banlieue. Les internautes ont tourné en dérision cette réaction spontanée après le film, certains s'interrogeant non sans humour sur sa réaction quand il découvrira le ‘cinéma social' de Ken Loach, NDLR).»

Quelles actions peuvent changer la donne?

«Je vais vous donner un exemple: il y a vingt ans, on a créé le collectif ‘Kourtrajmé', et certains d'entre nous ont vraiment explosé, comme Romain Gavras (‘Le Monde est à toi'), Kim Chapiron (‘Sheitan') ou JR (‘Visages, Villages'). Et là, en 2018, on a fondé une école de cinéma à Montfermeil. Résultat, on a déjà produit cinq films. Ça, c'est du concret… et sans aide de l'État! Donc les solutions, elles existent. Si Macron dit: 'OK, je mets les moyens pour faire bouger les choses', il peut le faire en claquant des doigts. La France reste quand même la troisième puissance mondiale. On ne va pas nous faire croire qu'on ne peut pas régler le problème des banlieues.»

Stanislas Ide

Notre critique du film Les Misérables :

C'est le premier jour de boulot de Stéphane (Damien Bonnard), un flic prêt à intégrer la brigade anti-criminalité de la cité de Montfermeil, en banlieue parisienne. Sa tête est froide, et ses principes bien ancrés. Mais quand les méthodes douteuses de ses nouveaux collègues le poussent à devoir étouffer une bavure, la descente aux enfers peut commencer. ‘Les Misérables' fait penser à de nombreux (bons) films. Déjà catalogué comme l'héritier de ‘La Haine' pour sa représentation des cités, on pense aussi au policier ripoux de ‘Training Day', à l'humour tendre de ‘Polisse', et aux gamins armés de ‘La Cité de Dieu'. Mais ces comparaisons ne suffisent pas à définir le cœur d'un film aussi entraînant que politique. Faisant écho aux émeutes de 2005 en Seine-Saint-Denis, cette virée haletante vient accompagnée d'une mise en garde: la violence provenant de ces quartiers n'est que le produit de l'injustice qui y règne. Du cinéma bien foutu, aussi pop-corn que social, et qui vous laissera en état de choc bien au-delà du générique. (si) 4/5