Les mains sales du Mondial quatari

par
Gaetan
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Outre le processus controversé d'attribution du Mondial 2022, le Qatar essuie de nombreuses critiques vis-à-vis du traitement réservé aux travailleurs migrants qui construisent ou rénovent les infrastructures de l'événement. Et d'après le dernier rapport d'Amnesty International, ces petites mains du Mondial sont victimes d'exploitation, voire de travail forcé. Des pratiques qui enfreignent le droit international et porte atteinte au droit humain.

Depuis que la Qatar a acquis l'organisation de la Coupe du monde 2022, ce riche pays pétrolier du Golfe entreprend des travaux colossaux pour accueillir le tournoi. Pour faire face à ce défi dans les temps, le pays a embauché massivement à l'international -principalement au Népal, en Inde et au Bangladesh-, parfois en faisant fi des conditions des travailleurs mobilisés.

Dans un rapport rendu public cette nuit, Amnesty dévoile des faces méconnues du traitement réservé à ces migrants sur les chantiers du Mondial, notamment sur celui du Khalifa International Stadium, à Doha, qui devrait être le premier à être opérationnel pour l'événement phare de la planète du ballon rond. De février à mai 2015, l'organisation a réalisé son enquête en se basant sur les témoignages de 132 ouvriers migrants officiant sur ce site et 99 autres travaillant sur l'aménagement paysager des espaces verts autour du complexe sportif de l'Aspire Zone, prisé par de grandes écuries européennes à l'image du Bayern Munich, d'Everton et du Paris Saint-Germain qui s'y sont entraînés cet hiver.

L'organisation a mis en lumière de nombreuses infractions et atteintes au code du travail en vigueur sur place. Alors que ces travailleurs migrants se sont déjà endettés de sommes conséquentes (de 500 à 4300 $) auprès de recruteurs dans leur pays d'origine pour obtenir un travail au Qatar, le précieux sésame se révèle bien trop salé, une fois arrivés sur place : logements insalubres et surpeuplés, un travail différent à effectuer, une rémunération pas à la hauteur des promesses…quand elle est délivrée.

Parrainage controversé

Les employeurs locaux usent de l'intimidation lorsque les travailleurs osent se plaindre de leur situation. Confiscation de passeports, interdictions de quitter le territoire, aucun permis de séjour accordé ou refus de le renouveler, menaces de retenues de salaires…les moyens sont nombreux pour faire pression sur ces travailleurs ou les transformer en hors la loi. Amnesty affirme avoir récolté des preuves tangibles prouvant que des cadres d'une entreprise de fourniture de main-d'œuvre ont menacé des migrants de leur imposer des pénalités afin de les obliger à travailler, ce qui constitue une forme de travail forcé aux termes du droit international.

Les menaces proférées à l'encontre des travailleurs jouissent de la législation qatarie suivant laquelle, par le système dit « kafala » (parrainage), un employé ne peut quitter le pays ou son travail sans l'aval de son employeur (parrain). Même si la réforme de ce système a été annoncée pour fin 2015, ses effets tardent à être appliqués. Des ouvriers népalais interrogés ont, par exemple, indiqué n'avoir pas pu rendre visite à leurs proches après le séisme meurtrier qui a frappé leur pays en avril dernier.

Une entreprise belge

Parmi les employeurs responsables des sites incriminés figure Six Construct, filiale de Besix -un groupe belge actif dans la construction. Selon le rapport d'Amnesty, des atteintes au droit du travail de travailleurs migrants ont été observées dans l'une des entreprises de construction qui fait partie de la chaîne d'approvisionnement de Six Construct qui co-supervise avec l'entreprise Midmac la rénovation du stade Khalifa. Contactée par nos soins, la firme Besix n'a pas souhaité réagir. Mais dans sa correspondance avec Amnesty International, sa filiale Six Construct s'est dédouanée, par la voix de son manager général Pierre Sironval, de tout manquement, arguant que des "inspections sécuritaires sont réalisées régulièrement et que des améliorations sont apportées lorsque des failles aux normes instaurées par le SC ( Supreme Committee for Delivery and Legacy, instance responsable de l'organisation du Mondial) sont constatées".

Depuis ces entretiens avec les ouvriers réalisés entre février et mai 2015, certains d'entre eux ont été relogés dans d'autres camps aux conditions plus favorables. D'autres ont récupéré leurs passeports. Preuve que les entreprises ont pris en compte les observations d'Amnesty International. Toutefois, certains abus ont persisté. Raison pour laquelle l'organisation a décidé de retaper du poing sur la table. Dans son rapport intitulé «le revers de la médaille. Exploitation sur un site de la Coupe du monde de football Qatar 2022 », Amnesty fustige la passivité des autorités qataries et «  l'indifférence de la Fifa ».

« Les abus dont sont victimes les travailleurs migrants entachent la conscience du football mondial. La situation des travailleurs migrants, qui sont endettés, qui vivent dans des campements sordides dans le désert et qui sont payés une misère,  tranche résolument avec celle des footballeurs de haut niveau qui vont jouer dans ce stade », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty International.

L'organisation appelle dès lors les principaux sponsors du Mondial (Adidas, Coca-cola et MacDonald's) à faire pression sur la Fifa afin qu'elle prenne en compte ces problèmes d'exploitation et qu'elle publie son plan de lutte contre de tels abus. Et par ricochet, Amnesty enjoint les autorités qataries à mettre fin au système « kafala » dans l'espoir que les droits des travailleurs soient respectés. Ces requêtes sont urgentes quand on sait que d'ici deux ans, près de 36.000 ouvriers œuvreront sur les sites de la future Coupe du monde.

Ph. Amnesty International