Les camps d'entraînement pour enfants, le secret bien gardé de Daesh

Les bébés disparaissent et ne sont jamais retrouvés. Les femmes sont enlevées, vendues et violées. Les garçons de 8 à 12 ans sont envoyés dans des camps d'entraînement et deviennent des jihadistes. Les hommes et les garçons pubères sont exécutés... Ceci n'est malheureusement pas une fiction. C'est l'horrible sort que réservent les jihadistes du groupe Etat islamique aux Yazidis, une communauté monothéiste et kurdophone qui vit en Irak.
par
Maite
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Le 27 octobre dernier, le Parlement européen a choisi d'attribuer son prix Sakharov, un prix «pour la liberté de l'esprit», à deux femmes yazidies d'Irak rescapées du groupe État islamique. Nadia Murad et Lamia Haji Bachar sont devenues ainsi des figures de la défense de la communauté yazidie, qui était jusque là assez peu connue du grand public. Cette attribution coïncide avec la sortie du livre "La fabrique des terroristes" dans lequel le Père Desbois et Nastasie Costel livrent les témoignages des rescapés de ce qu'ils nomment un "génocide".

"Il est important de rappeler que ce génocide ne concerne pas seulement les femmes mais bien toute la population yazidie", insiste Père Desbois. Le prix Sakharov a permis de lever le voile sur une atroce réalité. Une réalité que vit tous les Yazidis sans exception, qu'ils soient hommes, femmes ou enfants. "Les enfants sont emmenés dans des camps, on leur change leur prénom, ils deviennent des spécialistes d'attaques commando, ils sont entraînés à poser des bombes, à devenir des kamikazes, etc. Les hommes adultes ont été quant à eux tous fusillés dans des fosses communes tandis que les femmes âgés servent de boucliers humains", continue-t-il.  Pour lui, la machine génocidaire de Daesh a une visée très large.  "Daesh disloque les familles et chaque membre de la famille a un rôle différent."

Photos K. Kornberg et S. Pramme

Les camps d'entrainement des enfants, le secret de Daesh?

"Une des Yazidis que nous avons rencontrée nous expliquait que le grand secret de Daesh concernait les camps d'entrainement pour enfants", raconte-t-il. "Il y en a partout et pourtant, personne n'en parle." Qu'ils soient Yazidis ou non, les enfants sont sélectionnés et envoyés dans ces camps dont la localité reste inconnue. "On sent qu'il y a une science qui s'est mise en place: terroriste, guerrière et génocidaire."

Au fil des semaines, ces enfants oublient leur identité, leur religion, leur origine, leur langue et même leur nom. "Dès l'arrivée dans les camps, on change leur nom", continue Nastasie Costel, un belge originaire de Roumanie, qui dirige notamment les recherches de l'association sur le génocide des Roms. "Ils deviennent Daesh." En illustre l'exemple que développent les deux auteurs dans leur livre: "Nous avons rencontré une famille qui nous expliquait qu'à son retour, l'enfant continuait à traiter ses frères et soeurs de mécréants."

Pour le Père Desbois, il existe bien une raison au fait qu'on ne sait rien de ces camps. "Daesh met tout en scène, même les exécutions. Sauf tout ce qui a trait au futur", s'inquiète-t-il. Il n'y a jamais eu jusqu'à aujourd'hui des vidéos de ces camps, ni même des bébés enlevés dès leur naissance. Pour l'auteur de "La fabrique des terroristes", une chose est claire: Daesh a un grand projet et il met tout en oeuvre pour le réaliser.

Dans le camp, les enfants sont mis en compétition. Ils doivent se désigner les uns et les autres dès que l'un d'eux a fait une erreur. "Daesh joue beaucoup sur le ressenti psychologique des enfants", développe le Père Desbois.

Des témoignages de Yazidis qui ont été rachetés par leur famille

La plupart des témoignages rassemblés dans "La fabrique des terroristes" viennent de personnes qui ont été rachetées par leur famille. "Un clan de Daesh enlève les Yazidis et leur permet d'avoir un contact avec les membres de leur famille pour qu'ils leur demandent de l'argent. Si la famille ne donne pas la rançon dans les jours qui suivent, on leur dit que l'enfant deviendra un kamikaze." Et de ces enfants, nous n'avons plus aucune nouvelle. Ils finissent par disparaître.

Nous ne savons pas grand chose de ce clan. Ce sont apparemment des membres de l'"Etat islamique". "S'ils se font prendre par Daesh, ils se feront eux-mêmes exécutés."

Pour le père Desbois, il est important de créer une typographie et que les terroristes ne soient pas seulement jugés pour terrorisme mais également pour génocide. "On ne peut pas laisser un génocide sans coupable." C'est un combat qu'il mène tous les jours avec les membres de l'association Yihad-In Unum. Ils se rendent dans les camps de réfugiés des Yazidis et récoltent les preuves dans l'espoir qu'un jour, justice soit faite.

"La fabrique des terroristes", de Patrick Desbois et Costel Nastasie, éditions Favard, 20€