Léopold II, le roi aux deux visages

L'histoire du Congo est en partie liée à celle du roi Léopold II qui en fit sa colonie privée, l'Etat indépendant du Congo (EIC) de 1885 au 15 novembre 1908, date de la reprise de cet immense territoire par la Belgique. Léopold II renvoie tant l'image d'un génie bâtisseur que d'un tyran colonial ayant fermé les yeux sur les exactions que commettaient les agents de ses régies d'État au Congo. Pierre-Luc Plasman, historien de l'UCLouvain, auteur de «Léopold II Potentat congolais», décortique les raisons qui ont mené aux massacres.
par
Clement
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Aucun doute n'est permis quant aux horreurs qui ont eu lieu au Congo à la fin du 19e siècle et au début du 20e. En 1904, un rapport édifiant du consul britannique à Boma (ouest), Roger Casement, faisait part des exactions, des mutilations et des exécutions commises par les sociétés concessionnaires chargées de la récolte du caoutchouc. Quelques années plus tôt, le journaliste franco-britannique Edmund Morel avait également tenté d'alerter l'opinion publique.

Dans la foulée de ces dénonciations, une commission d'enquête a été mise en place et a condamné «la surexploitation, souvent forcée, de la main-d'œuvre indigène (souvent victimes de coercition)». Quelques mois plus tôt, Léopold II, ayant appris ce qui se passait dans les sociétés concessionnaires, avait pourtant tapé du poing sur la table, indique Pierre-Luc Plasman. «À partir des premiers scandales, qui éclatent en 1895, le roi, qui refuse de se faire éclabousser de sang, prend des mesures pour faire reculer les violences et on constate une diminution de leur intensité».

Prises d'otage, incendies, et mains coupées

Néanmoins, en 1902, le souverain fait volte-face. «Ce qui fait changer le roi d'avis, c'est la question financière», explique l'historien. Et de développer: «Léopold II a de grandes ambitions urbanistiques pour la Belgique, or si la production de caoutchouc baisse, les dividendes des sociétés dans lesquels l'État a des intérêts chutent.» Le roi maintient donc le système d'exploitation et la logique de primes, qui combinés à d'autres facteurs tels que le racisme et l'isolement avaient mené toute une série d'agents européens vers un mécanisme de violence afin d'augmenter la récolte de caoutchouc. «On parle de contraintes, de prises d'otages, d'incendies de villages, de massacres de villageois», précise Pierre-Luc Plasman.

«Le fait le plus marquant et très localisé est celui des mains coupées, que l'on doit à un haut fonctionnaire territorial belge, Victor-Léon Fiévez, qui a mis en place ce système infâme pour contrôler l'usage des munitions». En 1902, Fiévez a été suspendu et l'Anversoise, société responsable des massacres, a été bloquée. Mais Léopold II, qui a dû emprunter auprès de grands banquiers comme les Rothschild pour financer l'État, veut toujours rentabiliser son investissement. Il va alors entraîner l'État dans une politique contradictoire, ce que Pierre-Luc Plasman a appelé dans sa thèse «le paradoxe de la gouvernance» : "il veut un État civilisateur, civilisé, modèle, soucieux du bien-être de la population, mais d'un autre côté, il veut que les revenus restent les mêmes, qu'ils augmentent même".

Le pays comme héritier

Donc il ne met pas fin au système d'exploitation. Il transfère simplement les prérogatives et les droits de police de l'Anversoise à la société voisine, l'ABIR... qui va recourir à la même violence.

Si Léopold II a finalement décidé de fermer les yeux sur ces atrocités, c'est car il rêvait de faire en sorte que la Belgique soit plus grande, plus belle, plus forte et plus calme, explique l'historien. Sans descendance, il considérait le pays comme son héritier. Il avait trouvé le moyen de le rendre plus grand par le biais de la colonisation en acquérant à titre personnel le Congo. Il voulait maintenant le rendre plus beau en le dotant de monuments et d'aménagements territoriaux. «Le roi fait preuve d'une boulimie entrepreneuriale. C'est avant tout une question d'affaires», selon Pierre-Luc Plasman.

L'historien souligne que le roi a également une très haute estime de la fonction royale, prédominée par l'excellence et le maintien du prestige de la couronne. «Léopold II est un roi qui va se construire par rapport à l'image de son père. Il voulait continuer l'œuvre de Léopold Ier, poursuivre la dynastie et maintenir l'indépendance encore fragile de la Belgique».

Né 1835 et monté sur le trône en 1865, Léopold II est le deuxième roi des Belges. ll est également le souverain belge au règne le plus long: 44 ans jour pour jour. Figure controversée, elle tombe aujourd'hui de son piédestal, dans un climat de réflexion autour du colonialisme.