Julian Schnabel livre son portrait de Vincent van Gogh dans "At Eternity's Gate"

Vous avez quelques (centaines de) milliers d'euros en trop? Dans ce cas, vous pouvez peut-être acheter une œuvre de l'artiste américain Julian Schnabel. Un ticket pour un de ses films vous coûtera heureusement beaucoup moins cher, et ils valent la peine aussi. Comme, par exemple, ‘At Eternity's Gate', son portrait de Vincent van Gogh.
par
ThomasW
Temps de lecture 3 min.

Un entretien avec Julian Schnabel est une expérience. Lors de notre rencontre au festival de Zürich, ses réponses sautent constamment d'un sujet à l'autre. Il voit une statue dans le jardin, et hop: il se lance dans des explications sur un collectionneur d'art dont il a un jour fait la connaissance. Il se met à parler de Willem Dafoe, l'acteur principal de son nouveau film ‘At Eternity's Gate', et hop: il sort son GSM pour montrer des tableaux qu'il a faits de Dafoe en Vincent van Gogh. Cela n'a rien d'étonnant de la part d'un artiste touche-à-tout comme Schnabel, qui est à la fois un peintre à succès depuis 40 ans et un cinéaste respecté depuis 20 ans. Et il fait tout avec la même opiniâtre singularité. ‘At Eternity's Gate' n'est pas le premier film sur Vincent van Gogh, mais c'est néanmoins une expérience unique.

Julian Schnabel: «Je sais qu'il y a toutes sortes de mythes qui circulent à propos de van Gogh, mais ceux-ci ne m'intéressaient pas. Je ne cache pas que l'homme avait des problèmes psychiques. Il ressent des angoisses et il sait d'où elles viennent. C'est la raison pour laquelle il se retrouve à chaque fois dans une institution. Mais il avait aussi une chose à laquelle se raccrocher: sa peinture. Lorsqu'il travaillait, il était calme et concentré. Il dit aussi qu'il peint pour arrêter de penser. Il se débarrasse alors de ses soucis et ne fait plus qu'un avec le monde.»

Pourquoi vouliez-vous faire un film sur van Gogh?

«Parce que je trouve qu'il méritait une nouvelle chance de se défendre, de parler d'une manière qui ne soit pas stéréotypée. Je ne dis pas au spectateur ce qu'il doit penser. Je voulais faire quelque chose qui soit comme une expérience directe. Ce film propose une autre manière d'aborder les tableaux et la personnalité de van Gogh. Tout est raconté à la première personne, ce qui vous donne l'impression de marcher aux côtés de van Gogh. Grâce surtout à l'interprétation époustouflante de Willem Dafoe.»

Vous avez longtemps pensé qu'il n'était pas possible de faire un film sur Vincent van Gogh. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis?

«Le fait de me rendre compte que je pouvais utiliser les tableaux de van Gogh pour donner une structure au film. Chaque tableau représente quelque chose qui est arrivé à van Gogh, et ensemble ils donnent une idée des dernières années de sa vie. Ces œuvres en disent long sur qui il était, et nous avons pu tirer d'autres informations de la correspondance entre Vincent et son frère Theo. Les moments dont nous ne savons rien, nous pouvons les combler avec notre imagination. Cela m'a donné l'idée que nous pouvions faire un film qui surprendrait le public.»

«Je suis mes tableaux», dit van Gogh dans le film. Que veut-il dire?

«Qu'il n'y a pas de distinction entre son œuvre et sa personnalité. Il y met son cœur et son âme. La surface d'un tableau est la peau du peintre. L'artiste et l'œuvre s'imbriquent toujours. Au bout du compte, je suis ce film. ‘At Eternity's Gate' parle de van Gogh, mais j'utilise le film aussi comme une manière de lui faire dire ce qu'il a peut-être voulu dire. J'y mélange ensuite des choses que des gens ont vraiment dites.»

Certains des tableaux que nous voyons dans le film, vous les avez peints vous-même. L'avez-vous fait pour mieux comprendre van Gogh?

«Non, je l'ai fait pour m'exercer et pour avoir des autoportraits de Vincent van Gogh qui ressemblent davantage à Willem Dafoe. Pour van Gogh, il n'était pas inhabituel non plus de faire une copie de son propre travail. Prenez la scène dans le film où Gauguin fait un dessin de Madame Ginoux. Vincent entre dans la pièce et réalise un tableau de cette femme à partir d'un autre angle. Par la suite, il a encore peint cinq autres versions à partir du dessin de Gauguin. Il était comme ça.»

Ruben Nollet

En quelques lignes

Vous arrive-t-il d'aller au musée? Dans quel état d'esprit regardez-vous un tableau? Si vous êtes un peu comme moi, vous préférez l'art qui vous submerge d'émotion. Il ne doit pas nécessairement être réaliste ou même reconnaissable, pour autant qu'il vous touche au plus profond de vous-même. La peinture de Vincent van Gogh fait cet effet. Elle tourbillonne sur la toile, filtrée par l'esprit unique de l'artiste. Ce qui est bien dans ‘At Eternity's Gate', le film de Julian Schnabel sur cet esprit unique, c'est qu'il permet de comprendre pourquoi van Gogh voyait ce qu'il voyait sans que tout soit nécessairement formulé. Comme van Gogh, Schnabel se fiche des règles de l'art, mais il ne dévie pas de sa route. ‘At Eternity's Gate' est un tableau vivant avec sa propre gueule, le visage osseux de Willem Dafoe. L'acteur disparaît complètement dans la personnalité du peintre, et il y trouve à la fois l'âme torturée et la pure joie artistique. ‘At Eternity's Gate' ne fait pas du spectateur un connaisseur de van Gogh, mais vous permet par la suite de voir et d'apprécier autrement ses tableaux.(rn) 4/5