Interview: Colin Trevorrow, le débutant qui a pu réaliser "Jurassic World"

par
ThomasW
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Il a fallu un seul film au réalisateur Colin Trevorrow pour impressionner Steven Spielberg. La légende d'Hollywood a vu le premier long métrage de Trevorrow, le film à petit budget ‘Safety Not Guaranteed', et l'a tout de suite su: cet homme devait faire ‘Jurassic World', le quatrième opus longuement attendu de la saga ‘Jurassic Park'. Une responsabilité écrasante pour un cinéaste inexpérimenté qui, subitement, a dû jongler avec des millions.

Quelle a été votre réaction quand on vous a demandé de réaliser ‘Jurassic World'?

Colin Trevorrow : «Croyez-le ou pas, mais je n'ai pas tout de suite dit oui. Au grand étonnement de Spielberg & Cie. (rires) Je trouvais que si on allait faire un ‘Jurassic Park', il fallait que ce soit quelque chose de spécial. Et le scénario qui était sur la table lorsqu'ils m'ont contacté n'était tout simplement pas assez bon. J'ai donc dit que je voulais réécrire le scénario avec mon coscénariste habituel Derek Connolly. Et ils étaient d'accord.»

Spielberg y était-il associé?

«Oui, très étroitement même. Les ingrédients de base de l'histoire viennent de lui: un parc d'attractions avec des dinosaures, un entraîneur de vélociraptor qui peut communiquer avec ses animaux, et un grand dinosaure génétiquement modifié qui met tout le monde en danger. Pendant le tournage, en revanche, Steven m'a laissé une totale liberté. Il visionnait régulièrement les images que nous avons tournées, mais n'est pas venu une seule fois sur le plateau. Cela devait être mon film, qu'il s'avère bon ou mauvais. J'ai dit à Steven dès le début: ‘Si ce film devait s'avérer un échec, alors il faut que ce soit ma faute. Vous resterez une légende, et je disparaîtrai immédiatement d'Hollywood.' Mais j'ai, bien sûr, quand même tout fait pour éviter cette issue. (rires)»

Ne trouviez-vous pas angoissant de passer d'un petit film à 700.000 dollars à une méga-production de 150 millions de dollars?

«Non, au contraire. Je me sentais plus à mon aise avec un tel budget. Pouvoir imaginer des choses intégralement sans devoir penser tout de suite à ce que ça va coûter, je trouvais cela très libérateur. Cela me rendait plus créatif.»

Le point de départ du film, c'est que les visiteurs de Jurassic World en ont un peu assez de voir ces dinosaures «normaux». Les propriétaires du parc créent donc une espèce plus grande, plus bruyante et plus dangereuse. Est-ce que ce risque n'existait pas aussi au niveau de la réalisation du film? Utiliser trop d'effets spéciaux, dans une tentative d'impressionner le public?

«J'étais très conscient de ce risque. Au cinéma actuellement, le public se voit bombardé d'effets spéciaux, mais je ne pense pas qu'il soit demandeur. A mon avis, les gens veulent surtout de bonnes histoires et des personnages forts, soutenus par des effets spéciaux de qualité. Mais ils n'ont que rarement l'occasion de voir ça.»

Mais où traciez-vous la limite? Ce film contient tout de même dix fois plus d'images de synthèse que le ‘Jurassic Park' original de 1993? Quand est-ce que ça devient trop?

«Il y a en effet des moments où nous avons utilisé énormément d'effets spéciaux. Mais je les ai tout de même condensés. Dans beaucoup d'autres blockbusters, ils vont crescendo jusqu'à l'infini, jusqu'à ce qu'on perde totalement la vue d'ensemble. J'ai choisi de filmer plus de scènes d'action différentes, qui ne durent pas trop longtemps. Derrière chaque séquence, il y a une idée. Lorsque celle-ci a fait son effet, nous passons à la suivante.»

‘Jurassic Park', Spielberg avait souvent utilisé des animatronics: des poupées grandeur nature avec un squelette mécanique. Cela donnait à ses dinosaures quelque chose de très tangible -pour les spectateurs et pour les acteurs aussi. Vous avez, en grande partie, abandonné cette technique?

«Avec l'ordinateur, on peut tout faire actuellement. Il était donc logique d'opter pour cette solution. ILM, la société de George Lucas qui s'était aussi chargée des effets spéciaux pour le ‘Jurassic Park' original, trouvait même qu'il valait mieux que nous n'utilisions aucun animatronic. Selon eux, ce genre de poupée mécanique aurait l'air très factice, comparée aux dinosaures numériques. Mais finalement, nous avons quand même fait un animatronic d'un apatosaure mourant: lorsqu'ils ont vu le résultat chez ILM, ils ont dû concéder qu'ils avaient eu tort. Les autres dinos sont pour ainsi dire tous numériques, mais nous avons quand même veillé à ce qu'ils aient toujours un peu l'air d'animatronics. Leurs mouvements ont quelque chose de légèrement mécanique, comme ceux du T-Rex dans ‘Jurassic Park', et les textures de peaux ressemblent à la mousse caractéristique dont sont faits les animatronics.»

Un thème important dans le film est la relation entre l'homme et l'animal. Pourquoi vouliez-vous aborder ce sujet?

«Je ne voulais pas faire à nouveau un film sur les dangers de la manipulation de la nature. Steven l'avait déjà fait dans ‘Jurassic Park'. Je voulais montrer un monde où nous vivons déjà depuis tout un temps avec des dinosaures. Cela donne en effet une situation intéressante: nous, les humains, sommes habitués à être une espèce alpha. Nous soumettons les animaux à notre volonté, nous les utilisons pour l'agriculture, nous testons des médicaments sur eux, nous les enfermons dans un zoo. Mais quand on ramène alors tout d'un coup des créatures de la nuit des temps, qui ont été beaucoup plus longtemps que nous au sommet de la pyramide alimentaire, alors se pose la question: qui est ici l'espèce alpha? Cette dynamique, nous l'avons d'ailleurs aussi appliquée aux relations entre les personnages humains.»

‘Jurassic World' est sensé être le début d'une nouvelle série de films: allez-vous réaliser les suites aussi?

«Je ne pense pas. Selon moi, il est plus sain pour la franchise que les producteurs cherchent de nouvelles voix et des idées rafraîchissantes. Je veux en outre faire le plus possible de choses différentes dans ma carrière. Je vais bientôt faire des choix qui étonneront vraiment les gens. Tout le monde va penser que je n'aime pas l'argent. (rires)»

Critique du film par Lieven Trio

C'est le moment de faire un aveu: ‘Jurassic Park' réveille en nous toute la nostalgie de notre enfance. Sur notre boîte à tartines figurait un T-rex, nous partagions notre lit avec un vélociraptor en peluche qui nous accompagnait aussi au pays des songes. Les premières notes du thème archiconnu de John Williams dans ‘Jurassic World', nous ont donc tout de suite redonné la chair de poule. Cette quatrième partie longuement attendue de la saga ‘Jurassic Park' baigne dans la nostalgie et est, par moments, un merveilleux hommage au classique de Steven Spielberg.

Mais – et cela nous fait mal de le dire – pas grand-chose de plus. Oui, on apprécie la façon dont le réalisateur et scénariste Colin Trevorrow (‘Safety Not Guaranteed') recrée la même atmosphère ‘conviviale et familiale' et ressort même quelques vieilles pièces de décor. Mais ce qui nous a manqué, c'est le suspense épuré de l'original. Le coupable? La CGI, Computer-Generated Imagery. Avec l'animation digitale, on peut tout faire aujourd'hui, mais ‘Jurassic World' est l'énième preuve qu'il vaut mieux l'utiliser avec modération. Peu importe le nombre de dinos qui assaillent ses acteurs principaux Chris Pratt et Bryce Dallas Howard, jamais Trevorrow n'atteint l'horreur de la scène dans la cuisine ou la jeep dans ‘Jurassic Park'. Spielberg n'y avait pourtant qu'un seul ou deux dinosaures à sa disposition.

Quelle ironie quand, dans son scénario, Trevorrow critique justement cette envie de plus, toujours insatiable: des scientifiques ont créé un dinosaure hybride extrêmement dangereux, “parce que les gens veulent toujours plus grand, plus bruyant et plus cool”. L'histoire, elle aussi croule sous les excès: on suit trop de personnages différents en trop de lieux différents, et finalement on ne s'attache à personne. Mais il faut dire ce qui est: ‘Jurassic World' est un film agréable pour l'été, bien qu'il ne parvienne pas à se distinguer suffisamment des innombrables autres films de monstres et films catastrophe. N'hésitez pas à aller le voir avec vos enfants, mais ne vous attendez pas à ce qu'ils repensent avec nostalgie à leur boîte à tartines ‘Jurassic World' d'ici vingt ans.

3/5