Cela fait deux semaines que Soif' est sorti en librairie. Quels sont les échos vous avez reçus?
«Pour le moment, j'ai reçu un très bon accueil de la part de mes lecteurs. Je prends toujours du temps pour lire et échanger avec eux donc c'est essentiel à mes yeux qu'ils aient apprécié cet ouvrage. Cela me bouleverse d'autant plus que Soif', c'est le livre de ma vie.»
Pourquoi est-il si important?
«Ma famille a toujours été très catholique. Jésus est entré dans ma vie quand mon père m'en a parlé alors que je n'avais que 2 ans et demi. Cela a été un coup de foudre immédiat, même si ce n'était pas amoureux. Il est plutôt devenu le héros de ma vie et j'ai su que je devrais écrire à ce sujet, alors même que je n'avais aucune idée du fait que je deviendrais écrivaine. Évidemment, tout ce que j'ai écrit avant a compté à mes yeux, mais ce livre, c'est le plus important.»
Cela n'a pourtant pas été facile
«En avril 2018, je ne me sentais pas capable d'écrire ce livre, mais j'ai su qu'il le fallait. À 50ans, je suis encore dans la force de ma vie et j'avais la conviction que je devais m'y mettre. Cela a été extrêmement difficile mais particulièrement exaltant. Je n'ai pas arrêté de me dire que c'était au-dessus de mes forces et pourtant, j'y suis finalement arrivée.»
Vous développez deux concepts essentiels: l'incarnation et la soif. Qu'est-ce que c'est?
«L'incarnation c'est quelque chose d'extraordinaire. C'est le fait d'être présent, de vivre dans son corps au maximum. Jésus a décidé d'être l'incarnation de l'Homme et de vivre comme nous. Il a été au bout de lui-même en se sacrifiant même si personne ne le fait généralement. En tant qu'écrivaine, il est nécessaire d'être incarnée et de passer par le corps. Cela se ressent lorsque ça n'a pas été le cas et le livre nous glisse tout naturellement des mains.
La soif, c'est précisément la foi, peu importe ce que l'on croit. Je l'ai d'ailleurs toujours eue sans me considérer comme catholique. C'est plus un élan mystique sans religion en particulier car tout le monde peut la ressentir. Le fait de ressentir la soif que l'on éprouve avant de l'étancher, c'est une pure leçon de mysticisme. J'ai soif', c'est la dernière phrase que mon Jésus a dit sur la croix.»
On découvre un Jésus humain, notamment dans sa relation avec Judas
«Judas est un être extrêmement difficile à aimer de par son caractère et il est différent de Jésus en de nombreux points, puisqu'il représente la désincarnation. Néanmoins, on sait que Jésus aime son prochain et c'est donc tout un symbole, c'est ce qui les rapproche. Nous pouvons tous nous identifier à lui: dans notre entourage, on connaît des personnes qui sont très faciles à aimer et d'autres pour qui c'est plus compliqué.»
Le lecteur suit donc les derniers instants de votre héros
«Aimer Jésus n'est pas quelque chose de difficile. L'aimer lorsqu'il est crucifié, c'est un vrai défi. C'est le plus gros contresens des évangiles et c'est complètement contradictoire avec la parole que le Christ prêche. Comment peut-on à la fois s'aimer et accepter le fait d'être crucifié? C'est finalement sur la croix que Jésus réalisera son erreur.»
Jésus se fait une série de réflexions sur ce qui se passe après la mort. Ces réflexions, ce sont les siennes ou celles d'Amélie Nothomb?
«Il s'agit de la somme de mes réflexions post-mortem. Au final, je suis un être humain comme Jésus et il est donc normal que l'on se pose les mêmes questions. Il existe entre nous un socle d'humanité. J'ai toujours été obsédée par la mort tout en étant sûre qu'il y avait de la vie après.»
On vous sent fâchée avec Dieu et avec l'Église
«La figure du Père dans la Bible est catastrophique. Même s'il n'est pas inintéressant, il condamne et interdit à longueur de temps. C'est particulier de savoir que c'est une force sans corps qui aurait dessiné le corps à son image'. Jésus se montre d'ailleurs très critique à son égard.
Pour ce qui est de l'Église, j'ai un rapport problématique avec elle. Je la trouve donneuse de leçons, méprisante et elle juge le monde qui l'entoure sans se regarder elle-même.»
Votre Jésus, êtes-vous convaincue qu'il était comme cela ou avez-vous simplement envie qu'il le soit?
«C'est un mélange des deux. Le fait d'avoir écrit à la première personne me permet d'avoir eu un certain degré d'intimité avec le Christ au point de mieux le connaître. Évidemment, je ne me prends pas pour Jésus, mais je l'aime sans altérité. Il est comme ça et je le trouve d'ailleurs beaucoup plus crédible de la sorte.»
Sébastien Paulus
En quelques lignes
«Soif», d'Amélie Nothomb, Albin Michel, 162 pages, 18