Dumbo: Tim Burton règle ses comptes avec Disney

Après le succès des réadaptations live du ‘Livre de la jungle' et de ‘La Belle et la Bête', Disney persiste et signe avec ‘Dumbo'. Et qui de mieux pour raconter l'histoire de cet éléphant aux trop grandes oreilles que Tim Burton, alias le grand parrain des héros marginaux (‘Edouard aux mains d'argent', ‘L'étrange Noël de Mr Jack')? Metro a filé à Paris pour assister à la conférence de presse donnée par le réalisateur à l'occasion de la sortie du film.
par
Camille
Temps de lecture 4 min.

Vous connaissiez bien le dessin animé de 1941?

Tim Burton: «Oh oui, je l'adorais! Le symbole de l'éléphant qui arrive à s'envoler me touche beaucoup. Ce personnage bizarre mais spécial, que les gens ne parviennent pas vraiment à ranger dans une case. Le message que vous pouvez être différent, même si on se moque de vous. C'est toujours plus amusant de travailler sur une histoire avec une grande résonance personnelle. J'y retrouve aussi des échos de mon lien avec Disney, cette longue et belle histoire.»

Dumbo se retrouve coincé dans ‘Dreamland', un parc qui fait penser à Disneyland. Une façon de régler vos comptes avec le studio qui vous a licencié il y a plus de 30 ans?

«Oh c'est de bonne guerre (rires)! Vous savez, dès que je suis arrivé chez Disney, j'ai voulu dessiner un parc d'attractions. Avec ce film, j'ai pu le faire. Et heureusement, en moins de temps qu'ils ont mis à construire le vrai (rires). C'était un peu comme un de mes rêves devenant réalité.»

L'histoire change un peu. Vous vous êtes inspiré du livre original?

«Pas du tout (rires)! J'avais envie de rendre le film différent de ce qu'on connaît, tout en gardant son cœur émotionnel. Pour moi, le plaisir était de réaliser une jolie fable, comme les anciennes productions Disney. En fait, mes inspirations étaient plutôt visuelles.»

Autre nouveauté, un message militant contre l'exploitation d'animaux dans les cirques. C'était important?

«On a travaillé avec de vrais chiens et de vrais chevaux, mais c'est tout. En fait, avant de commencer, j'ai réalisé que je n'aimais pas vraiment les cirques, avec tous ces animaux sauvages en captivité. Et je trouve les clowns tout simplement terrifiants. C'était donc un espace bizarre, mais on y trouve aussi beaucoup de solidarité entre artistes. Tous ces bras cassés qui forment une belle troupe, et qui s'entraînent constamment.»

Pourriez-vous prendre la route et partir travailler dans un cirque?

«Ah non, pas de regrets de ce côté-là (rires). Et puis faire des films, c'est un peu comme rejoindre un cirque.»

Quel aspect de la production avez-vous préféré?

«C'était un tournage très bizarre, car la seule chose qui manquait était notre personnage principal (rires). Comme le thème du film est la composition d'une famille de circonstance, et un peu dysfonctionnelle, je voulais des acteurs avec des physiques un peu flippants (rires). C'était évidemment un plaisir de retrouver Eva Green pour la troisième fois. Et l'occasion d'enfin retravailler avec Michael Keaton et Danny DeVito. Quant à Colin Farrell, j'ai tout de suite eu le sentiment qu'on se connaissait depuis toujours.»

Eva Green joue une trapéziste parisienne, avec un accent très prononcé. Vous parlez bien le français?

«Désolé non, je ne comprends jamais personne. Et on me comprend encore moins, en Français comme en Anglais. C'est pour ça qu'on s'entend bien Eva et moi. Elle sait que je ne sais pas m'exprimer, et elle l'accepte. Je lui suis terriblement reconnaissant (rires)!»

Comment avez-vous combiné votre penchant sombre avec l'univers familial de Disney?

«Si on y pense, les anciens films de Disney sont ceux qui nous ont appris la peur de la mort et la tristesse. Ce sont des sentiments qu'on ne comprenait pas vraiment en tant qu'enfant, mais qu'on pouvait explorer dans toutes ces histoires. Donc j'ai toujours eu l'impression qu'il n'y a pas de grand écart entre mes penchants mystérieux et ces films. Quand on pense à ‘Pinocchio', ce sont les moments effrayants et tristes que les gens retiennent.»

C'est vrai que Frankenstein vous rassure?

«Oui, même si l'attachement pour mes personnages fétiches varie. Je les aime car je peux prendre tous mes sentiments dérangeants, et les projeter sur eux pour mieux me comprendre. Aujourd'hui je me sens plus proche de la figure du loup-garou par exemple. Et hop, un nouveau monstre tous les jours (rires)!»

Dumbo

Dumbo l'éléphant devient la coqueluche de son cirque en réussissant à s'envoler avec ses grandes oreilles. Mais les temps sont durs, et Max Medici (Danny Devito) décide de vendre ses artistes, Dumbo en tête, pour s'associer au parc d'attractions Dreamland… On ne sait pas trop quoi penser de ces remakes en série chez Disney. Coup de bol, Tim Burton est en meilleure forme que pour ‘Alice au pays des merveilles', et nous émeut instantanément avec cette histoire d'envol des marginaux. L'animal en lui-même est terriblement mignon, et son interaction avec les acteurs en chair et en os – Eva Green, Colin Farrell, Michael Keaton – fonctionne à merveille. On se réjouit de voir Tim Burton dépeindre Dreamland comme une prison capitaliste et déshumanisante -un coup de poker audacieux pour celui qui s'est fait virer par Disney il y a plus de 30 ans. Mais notre enthousiasme retombe un peu face à la mise en scène paresseuse. Depuis ‘Big Fish' (2003 quand même), on attend le film de Burton qui nous redonnera la chair de poule, au lieu de nous étourdir dans une pluie d'images de synthèse. Rien de bien grave, mais un coup dans l'eau quand on pense au chef-d'œuvre que ‘Dumbo' aurait pu devenir.

Stanislas Ide