Dour, le festival "pour des gens ouverts d'esprit"

Dour, c'est un monstre qu'il faut apprivoiser. On imagine facilement qu'une telle affiche doit être un vrai casse-tête à réussir. Alex Stevens et Mathieu Fonsny, les deux programmateurs de cette vaste machine, nous expliquent leur travail.
par
Pierre
Temps de lecture 4 min.

Pour concocter le festival de Dour, c'est donc une programmation à quatre mains. Comment se passe le travail?

AS: "Nous faisons toutes les offres, à deux, durant toute l'année. Mais nous avons aussi 2-3 consultants qui viennent nous aider pour des sous-genres bien spécifiques, comme la dub qui est une sous-culture qu'on a un peu de mal à suivre. Il y a aussi Lefto qui voyage beaucoup et qui ramène pas mal d'idées. En tout cas, on discute beaucoup à deux. Mais le but d'un programmateur n'est pas d'avoir absolument tel ou tel groupe, mais de les placer au bon endroit au bon moment pour créer une atmosphère. Il faut beaucoup de discussion pour créer un équilibre et une ambiance festival qui évolue au fil des jours."

Être programmateur d'un festival avec autant de groupes, c'est du 24 heures sur 24, dès qu'on allume la radio, qu'on se promène sur le web,etc.

MF: "Bien plus que de choisir les groupes, c'est surtout un état d'esprit. Quand je vais voir un concert, je m'intéresse à 50% à ce qu'il se passe en salle, je regarde ce que les gens boivent, à quel moment ils réagissent, s'ils sont nombreux, jeunes, vieux, etc. On est une communauté d'amateurs de musique alternative, et tout est susceptible de nous influencer d'une manière ou d'une autre, même les vêtements."

AS: "C'est vrai qu'on n'a pas été élu, mais on est les représentants des festivaliers. On essaye de leur parler au maximum, d'aller à leur rencontre. Cela permet de comprendre comment la musique et les sous-genres évoluent. Il n'y a pas longtemps, j'ai vu un métalleux à un concert de hip-hop qui m'a dit qu'il adorait ça. Je crois qu'il faut capter les trucs avant qu'ils n'arrivent. J'ai vu, lors d'un festival aux États-Unis il y a un an et demi que le rap anglais était prêt à exploser. On a donc fait le choix de programmer à fond cette scène parce qu'on sentait l'énergie. Mais tout cela se base sur un ressenti."

C'était très cloisonné il n'y a pas si longtemps. Certains détestaient le rap, d'autres la techno…

AS: "C'est encore assez cloisonné, et même à l'intérieur de l'électro. Celui qui écoute de la drum'n'bass déteste celui qui écoute de la techno, par exemple. Ceux qui écoutent du hardcore sont nombreux à détester le metal. Nous, on essaye de faire un festival pour des gens ouverts d'esprit."

Pourquoi une telle profusion de groupes?

AS: "Quand le festival s'est construit, l'idée de Carlo Di Antonio (créateur du festival et actuel ministre wallon, NDLR) était d'aller chercher tous les sous-genres qui ne passaient pas ailleurs. Il y avait beaucoup de rock français au début. Puis on a été l'un des premiers à faire venir du hip-hop. Il a également fait venir la musique électro dans les années 90 en signant un partenariat avec le Fuse. Il a aussi mis en place une scène reggae parce que cela n'existait pas à l'époque. La scène rap française, avec IAM ou NTM, n'avait pas non plus de vision en Belgique. Donc, il a un peu pris tout ce que les autres n'utilisaient pas. Au fil du temps, cela s'est développé pour arriver aujourd'hui à cette espèce d'équilibre. C'est dans notre ADN désormais. On est content quand on programme M.I.A., Phoenix ou Justice, mais on veut surtout aller chercher les nouveaux sous-genres qui ne sont pas encore exploités."

Vous avez deux-trois coups de cœur?

MF: "Mon coup de cœur, c'est surtout le hip-hop belge, de Roméo Elvis à Zwangere Guy. C'est un peu bateau parce qu'on en parle beaucoup, mais il faut battre le fer tant qu'il est chaud. Il faut que les gens comprennent qu'il y a un truc qui est en train de se passer chez nous. Mon autre coup de cœur, c'est AZF qui est une fille un peu hooligan parisienne. Elle fait une techno très dure, mais c'est en même temps quelqu'un de très doux. Elle représente bien tout ce qui est une contre-culture assumée. Et puis, je citerais aussi Cocaïne Piss, du pur rock."

AS: "Moi, je citerais Alex Cameron qu'on a vu lors d'un repérage à Austin. Il a vraiment la classe, et nous sommes très contents de l'avoir. Pour la première fois, on a aussi un accordéoniste, Mario Batkovic, qui fait une musique étonnement indie. Et enfin, il a le groupe de rock garage Twin Peaks -on est dans l'actualité (rires)- que j'aime beaucoup."

Pierre Jacobs