Compenser les émissions de CO2 de ses vols: bonne ou mauvaise idée ?

Pour se donner bonne conscience ou par conviction écologique, de plus en plus de voyageurs choisissent de compenser l'empreinte carbone de leur vol en payant volontairement un supplément à la compagnie aérienne ou en faisant un don. Zoom sur un phénomène encore rare mais en pleine expansion.
par
ThomasW
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Selon les estimations, le secteur de l'aviation est responsable de 2 à 3% des émissions de CO2 au niveau mondial. C'est autant que les émissions d'un pays industrialisé comme l'Allemagne. Depuis quelques années, des compagnies et des organisations proposent aux voyageurs de compenser leurs émissions.

Du côté des compagnies

Plusieurs compagnies aériennes disposent désormais d'un programme de compensation. Brussels Airlines (qui a émis 780.000 tonnes de CO2 en 2018) s'était associée avec l'entreprise belge CO2Logic pour permettre à ses voyageurs de compenser les émissions en CO2 de leur vol. Si les infos sont encore visibles sur le site, ce partenariat est tombé à l'eau il y a quelques années déjà. De son côté, Tui ne propose pas non plus de système de compensation.

En 2019, Sunweb Group a annoncé que tous ses séjours à forfait étaient désormais entièrement neutres en CO2 grâce à la compensation carbone. Le voyagiste a spécifié que cela n'aurait pas de répercussions sur le voyageur et que le prix du voyage restait inchangé. En effet, Sunweb a indiqué qu'il prenait en charge les coûts de la compensation carbone pour le vol, les trajets en bus et l'hébergement. Le voyagiste soutient des projets d'énergie renouvelable en Inde, notamment des parcs éoliens qui permettent de réduire les émissions de CO2 de plus de 350 000 tonnes par an .

L'an passé, avec 9,8 millions de tonnes de CO2 émis, Ryanair est entrée dans le top dix des entreprises les plus émettrices de CO2 en Europe. La compagnie low-cost irlandaise collabore avec l'organisation First Climate et propose aux clients qui le souhaitent, à la fin de la réservation du vol, de contribuer par des dons volontaires à leur initiative de compensation de carbone. Celle-ci consiste à distribuer des milliers de fours de cuisson éco-énergétiques en Ouganda. Selon la compagnie, le remplacement des feux au bois et des poêles à bois ont déjà permis de compenser 280.000 tonnes de CO2.

Ph. Pexels

Greentripper et MyClimate

Si la plupart des compagnies aériennes ont encore beaucoup d'efforts à faire pour proposer des programmes de compensation visibles et faciles d'accès, des organisations ont pris le relais. Développé par CO2Logic, Greentripper est le principal outil de compensation en Belgique. Environ 15.000 tonnes de CO2 ont été compensées en 2019 via cette plateforme, soit par des entreprises ou des agences de voyages, soit directement par les voyageurs (un peu plus de 2.000 l'an dernier en Belgique). L'organisation précise qu'un voyageur paie en moyenne 50€ grâce auxquels il peut compenser quatre tonnes de CO2. Au niveau européen, l'organisation suisse MyClimate (Myclimate.org) collabore avec des compagnies comme Lufthansa et Swiss mais permet également à tout à chacun de compenser les émissions en CO2 de ses trajets sur la plateforme. En 2019, la fondation a récolté 4,5 millions €, soit l'équivalent de 175.000 tonnes d'émissions de CO2 compensées. Les utilisateurs belges de MyClimate ont compensé entre 8.500 et 10.000 tonnes de CO2 l'an passé.

Une fausse bonne idée?

Si la compensation volontaire peut sembler être une bonne idée, la méthode a également ses détracteurs. Pour certains, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt, c'est un pansement mis sur une blessure sans la soigner. D'autres critiquent le financement de certaines méthodes comme la plantation d'arbres en soulevant le fait que ces arbres ne pourront pas absorber le carbone avant de nombreuses années. Dès 2006, l'ingénieur, auteur et conférencier français Jean-Marc Jancovici déclarait dans Libération: «Compenser, c'est aussi penser qu'on peut ne rien changer». Il estimait que la compensation était une forme d'indulgence des temps modernes et que compenser pouvait être pire que de ne rien faire car cela pouvait éloigner les citoyens des efforts qu'ils pourraient réellement faire. Pour lui, la meilleure manière de réduire ses émissions est de les limiter. «Ne pas prendre l'avion ou ne pas allumer sa chaudière se traduit directement par une absence d'émissions. C'est quand même plus efficace», argumentait Jean-Marc Jancovici en préconisant la mise en place d'une taxe progressive et d'un alignement de la fiscalité du kérosène sur celle de l'essence.

Thomas Wallemacq

Interview : «La compensation CO2 n'est pas LA solution mais elle fait partie des solutions»

Anne Robertz est directrice de Greentripper, une filiale de CO2Logic qui occupe deux employés à plein-temps. Elle travaille sur ce projet depuis son lancement fin 2016.

Comment est né ce projet?

«En 2016, Antoine Geerinckx, le fondateur de CO2Logic, a décidé de lancer Greentripper, une plateforme dédiée aux voyageurs pour leur permettre, dans un premier temps, de compenser leurs voyages en avion. En 2017, nous avons ajouté la possibilité de compenser les trajets en voiture et l'année dernière, nous avons développé les autres moyens de transport comme les croisières ou une traversée en ferry.»

Comment un utilisateur peut compenser un voyage sur votre plateforme?

«Il se rend sur le calculateur en ligne sur www.greentripper.org et il choisit quel moyen de transport il souhaite compenser. Pour un voyage en avion, il va indiquer son trajet. Par exemple, pour un vol aller-retour en Economy entre Bruxelles et Barcelone, la personne va constater qu'elle va émettre 560 kg de CO2 et que pour compenser cet impact en participant à un projet de réduction de CO2, cela lui coûte environ 7€.»

Ph. Greentripper

Quels projets sont financés?

«Les projets que nous proposons de soutenir se situent dans les pays en voie de développement. Ils existent uniquement grâce au système de la compensation de CO2 car ils ne sont pas financièrement viables. Ce sont également des projets du label Gold Standard qui vont en plus avoir un impact positif sur les objectifs de développement durable. Par exemple, nous avons un projet en Ouganda où nous allons réhabiliter d'anciens puits afin de permettre aux populations d'avoir accès directement à de l'eau potable. Ils ne doivent ainsi plus aller chercher de l'eau à la rivière et brûler du bois pour la faire bouillir et la consommer. Il va donc y avoir un impact de réduction des fumées et donc de CO2, mais c'est aussi une amélioration de la santé des populations locales. Nous ne parlons pas de projets de reforestation mais de projets qui évitent la déforestation. Ce sont des projets où nous allons réduire de manière définitive des émissions de CO2. Les projets de reforestation sont toujours un peu plus compliqués car lorsqu'un arbre meurt, en fonction de la matière dont la forêt est gérée, le CO2 pourrait retourner dans l'atmosphère.»

Que répondez-vous aux détracteurs qui estiment que la compensation ne résout rien, au contraire?

«En général, je réponds que le fait de compenser demande d'abord de calculer son impact. Les gens qui compensent ou même ceux qui viennent seulement calculer leur impact sur Greentripper, prennent déjà conscience de l'impact CO2 de leur voyage. Lors d'un prochain voyage, la personne va peut-être compenser autrement en choisissant un autre moyen de transport. Nous n'adoptons pas du tout la posture de dire: ‘Voyagez car la compensation CO2 existe'. La compensation CO2 n'est pas LA solution, mais elle fait partie des solutions pour réduire l'impact sur l'environnement des voyages.» (tw)