Cette semaine sur les planches - 10 octobre 2016

par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Il y a de quoi faire à Namur, à Liège, à Bruxelles, à Mons, etc.

Apocalypse bébé

Cela commence comme une enquête policière. Mais on perçoit très vite que la disparition de Valentine, fille d'un écrivain en vue de la place parisienne, cache des réalités plus sombres et plus profondes. Celles-ci vont être révélées par un duo de détectives mal assorti mais qui s'apprivoisera petit à petit. Lucie (Mélanie Zucconi irrésistible), naïve et un peu paumée, va au contact de celle qu'on appelle la Hyène (intrigante Marie Bos), lesbienne aux techniques musclées, sortir de sa condition de petite fille dans laquelle elle s'était enfermée.

Ph. Lou Hérion

Car c'est bien des femmes dont nous parle la romancière Virginie Despentes, de sa plume trash et sans fard, dans « Apocalypse Bébé » adapté magnifiquement ici par Selma Alaoui (collectif Mariedl).

La metteuse en scène parvient à mettre en parallèle les parcours des enquêtrices et, par flashbacks, celui de la jeune ado dans sa quête d'un modèle féminin maternel, l'emmenant jusqu'à Barcelone. Ce rôle de fausse ingénue confirme pleinement le talent d'Eline Schumacher (« Manger des épinards c'est bien, conduire une voiture c'est mieux »).

La distribution est d'autant plus magnifique qu'elle parvient à endosser les habits de personnages aussi divers qu'ils sont typés : la mère superficielle (Florence Minder), le petit gars du quartier mi-racaille mi-altermondialiste (Aymeric Trionfo), l'écrivain mondain (Achille Ridolfi). Dénonciatrice, avec une pointe de trash, la pièce renforce parfois la caricature pour y insuffler une dose d'humour. Mais elle n'en reste pas de moins un sacré coup de pieds dans les burnes d'une société machiste marquée par la violence à l'égard des femmes. Un plaidoyer punchy dans une ambiance pop, tantôt lumineuse, tantôt dark, grâce à une scénographie mouvante de Marie Szersnovicz. On est constamment comme dans une sorte de rêve d'enfant flirtant toujours avec le cauchemar d'adulte. C'est du Despentes, qui ne prend pas de gants avec la discrimination qu'elle dénonce, parce que celle-ci n'en prend pas non plus quand elle entend répéter, génération après génération, une hiérarchie des genres aussi impitoyable qu'injuste.

« Apocalypse bébé », d'après Virginie Despentes, mise en scène de Selma Alaoui. Une coproduction 4 à 4 des quatre centres dramatiques. Créé au Théâtre de Liège.

Les gens d'Oz

Voici un spectacle à l'ambiance bien étrange. Bienvenue dans cet immeuble où la réalité semble tout autre. Ses habitants s'y soucient d'amour, de voisin impoli et de littérature. Mais aussi de passé et de futur. « D'ailleurs qui s'occupe du présent ? », s'inquiète l'un des personnages.

Ph. Elizabeth Carecchio

Il y a les deux copains Erwin et Sart, tous deux rentiers. Le premier aimerait attirer l'attention de Mia, une jeune éditrice qui rêve de rencontrer Anna, romancière discrète n'ayant plus écrit depuis 10 ans. Cela tombe bien, c'est la voisine du dessus. Sart la vénère. Et puis il y a Truman, bouillant pianiste, « cohabitant » de l'écrivaine. Dans cette pièce sans intrigue véritable, c'est une atmosphère douce, drôle et vaguement mélancolique qui domine. L'auteure bulgare Yana Borissova compose une mosaïque de conversations qui semblent n'avoir aucune prise sur les soubresauts du monde, comme si cet immeuble les protégeait de l'extérieur.

Ph. Elizabeth Carecchio

Le metteur en scène Galin Stoev capture cette ambiance dans un espace sobre et gris suffisamment impersonnel pour être habité par chaque personnage. Parce que c'est sur une distribution assez solide qu'il peut compter : Vincent Minne, Yoann Blanc (de la série "La Trêve"), Tristan Schotte, Stéphane Excoffier et Edwige Baily. Le trio masculin remplit parfaitement les rôles d'homme en fer blanc sans coeur, de lion sans courage et d'épouvantail sans jugeote. Ses deux compagnes de jeu serait-elle des Dorothy aux deux âges: l'une vivant encore dans le rêve, l'autre s'étant réveillée depuis un petit temps ? Galin Stoev et ses comédiens colorent le plateau et nous convient à un moment de douceur poétique entre deux mondes.

"Les gens d'Oz" de Yana Borossova mise en scène de Galin Stoev. Après les Tanneurs, le spectacle se joue du 11 au 15 octobre au Théâtre de Liège.

Combat de nègre et de chiens

Bernard-Marie Koltès (1948-1989) est ce qu'on appelle un auteur mythique. Plume enflammée et engagée d'un nouveau théâtre, elle est incontestablement ancrée dans son époque, celle de la France des années septante et quatre-vingts. « Combat de nègre et de chiens » fait partie de ses œuvres phares, prenant à bras le corps les thèmes du colonialisme et de dissection assez flamboyante de la nature humaine dans ce qu'elle peut avoir de plus sombre.

Ph. Christophe Urbain

C'est ici le jeune metteur en scène Thibaut Wenger (« Platonov » à l'Océan Nord et « La Cerisaie » au Varia) qui s'empare de l'auteur français et nous emmène dans une Afrique sombre. Le plateau est d'ailleurs plongé dans une pénombre continue où seuls quelques rayons transpercent une jungle de pylônes de béton (magnifique scénographie d'Arnaud Verley et lumières de Matthieur Ferry). Car nous sommes bien sur le chantier de Horn, self-made-man de caractère qui dirige ses travaux de main ferme mais humaine. Il comprend d'ailleurs les raisons qui poussent Alboury (François Ebouele), envoyé par le village voisin pour récupérer le corps d'un ouvrier noir malheureusement décédé. Mais ce corps, Horn ne peut pas lui fournir, ayant été abandonné dans le lac voisin par l'impulsif contremaître Cal. Ivrogne et brut, l'homme ne fait pas preuve de la même humanité que son patron, sans doute façonné de trop d'années de brousse. Arrive dans ce triangle la blanche Léone (Berdine Nusselder), ancienne serveuse parisienne venue chercher l'aventure et un mari en la personne de Horn.

Ph. Christophe Urbain

Koltès pousse ses personnages à leurs limites mis dos au mur de leurs mensonges et de leur détresse. Chaleur, éloignement de la métropole, solitude et système colonial en déroute font perdre leurs repères aux « Blancs ». Thibaut Wenger reste d'ailleurs un peu prisonnier de cette ambiance de fin d'un monde et d'un texte fort riche. La langue de l'auteur est sublime. Passionnant, Koltès réclame cependant une attention de tous les instants. Le jeu parfois appuyé accentue une ambiance pesante où les visages sont sans cesse dissimulés. On notera aussi les convaincantes prestations explosives de Thierry Hellin (Horn) et de Fabien Magry (Cal).

« Combat de nègre et de chiens » de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Thibaut Wenger jusqu'au 15 octobre au Théâtre de la Place des Martyrs.

Il ne dansera qu'avec elle

C'est un projet ambitieux dans lequel se sont engagés Antoine Laubin et son complice à l'écriture Thomas Depryck. Depuis 2011, ils tentent de dresser le portrait d'une génération -les 30-40 ans nés après la révolution sexuelle- dans ses rapports à l'amour, au couple et à la sexualité. Vaste chantier pour lequel « Il ne dansera qu'avec elle »  (inspiré d'une chanson de Dominique A) convoque douze comédiens -six femmes et six hommes. À coups d'ateliers pendant ces deux dernières années, ils ont fourni une matière importante à ce spectacle aux contours de mosaïque.

Ph. Marie Aurore

On entend d'ailleurs pas mal de confidences pendant trois heures dans une dramaturgie qui rappelle l'impro pour tenter d'aller cherche une vérité. Comme cadre scénographique, Stéphane Arcas a imaginé un joyeux bordel sur un plateau ouvert à l'expérimentation. Tantôt c'est une bande de potes qui se fait des confessions de vestiaires (comprenez ce dernier mot dans son sens littéral), tantôt on se retrouve dans le lit d'un couple, tantôt encore c'est face au public qu'un souvenir parfois difficile nous est confié. Premières fois, aventures sexuelles, difficultés relationnelles, rien ne nous est épargné, et ce traitement sans tabou est particulièrement rafraîchissant. Selon nous, ils auraient même pu aller plus loin, dans le traitement des sexualités moins traditionnelles par exemple. Mais l'identification fonctionne à plein régime avec cette douzaine de copains qu'on se plaît à écouter. Chacun y trouvera un de ses fantasmes, un de ses ratés,...

Ph. Marie Aurore

Comme dans leurs précédents spectacles ("Dehors", "Le Réserviste"), Antoine Laubin et Thomas Depryck exploitentaussi un fond documentaire et littéraire pour accompagner le partage d'expériences personnelles. On aura ainsi droit à une histoire accélérée du porno et de son dérivé féministe, très drôle. Des passages plus écrits viennent ainsi ponctuer un jeu spontané et dynamique : déclarations d'amour poétique et crue, secrets bien gardés. Vu lors de sa première, le spectacle gagnera certainement en rythme au fil des représentations, tant des passages ralentissent inutilement un rythme en dents de scie, là où un crescendo aurait donné à ce spectacle de près de trois heures ses allures de grande fresque d'époque. Toutefois, l'équipe donne tout de son corps et de son jeu pour nous faire vivre un spectacle d'échanges qui invite aux confidences avec son voisin de rangée.

« Il ne dansera qu'avec elle », de Thomas Depryck, mise en scène d'Antoine Laubin au Varia jusqu'au 22 octobre et au Théâtre de Liège du 15 au 19 novembre.

La Convivialité

C'est le spectacle dont tout le monde cause en ville. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, deux profs, en ont marre d'être considérés comme des "curés de la langue". Pourquoi doivent-ils sanctionner si sévèrement les fautes d'orthographe de leurs élèves alors que leur formation de romaniste leur a enseigné une approche critique de la graphie française particulièrement complexe?

Ph. Véronique Vercheval

Lors de cette conférence décomplexée d'une heure, les deux non-comédiens parcourent les incohérences de la langue lorsqu'elle s'écrit. Saviez-vous ainsi que la liste de mots en -ou prenant -x au pluriel, que l'on annonne par cœur dès l'école primaire, n'est le résultat que d'une mauvaise interprétation des codes d'écriture des moines copistes ? Avisez-vous seulement à flanquer d'un -s une boîte à bijoux, et votre copie sera marquée du rouge fatal! C'est par le biais de l'interactivité avec le public en le renvoyant à ses propres complexes et erreurs que les deux compères parviennent à nous faire réfléchir sur ce qu'est une langue vivante. Juger l'orthographe n'est-ce pas juger l'apparence d'un être qui pourrait s'avérer pleinement intéressant en dépit de ce vice de façade. Car au final, une orthographe moins stricte dans certains contextes pourrait certes faire gronder les tempêtes de certains censeurs mais ne gâcherait en rien la convivialité d'un moment d'écriture partagé. CQFD!

"La Convivialité", d'Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, jusqu'au 15 octobre au Théâtre National.

Nicolas Naizy