Carice van Houten pour 'Instinct' : «Je trouve la thérapie formidable »

Depuis ‘Game of Thrones', Carice van Houten est connue dans le monde entier. Ironiquement, l'actrice hollandaise a de plus en plus de difficultés à trouver de bons personnages au cinéma. Elle crée donc ces rôles elle-même désormais, avec sa grande amie Halina Reijn. Au festival de Locarno, elle nous parle de leur premier ‘bébé': ‘Instinct'.
par
ThomasW
Temps de lecture 6 min.

Vous apparaissez au générique du film ‘Instinct' en tant qu'actrice et productrice. Êtes-vous intervenue dans d'autres domaines encore pour que le film puisse se faire?

Carice van Houten: «J'ai contribué au scénario. Je suis quelqu'un qui pose énormément de questions. Je ne vais rien dire devant la caméra jusqu'à ce que je comprenne ce qu'il y a sur papier et que je l'aie approuvé. Le scénario a connu un certain nombre de versions. Nous avons continué à chercher jusqu'à ce que ce soit vraiment au point. J'ai aussi participé à la thématique et au casting et au choix des personnes avec lesquelles nous voulions travailler.»

‘Instinct' commence par une scène où votre personnage, Nicoline, est dans une cellule et se comporte de manière délirante. Mais on comprend alors que c'est un exercice avec une unité militaire. Que nous dit cette scène à son sujet?

«C'est une sorte de prélude à ce qui va suivre. La scène montre de manière symbolique qu'elle a aussi un côté destructeur, qu'elle veut quelque part qu'on lui fasse mal. Il s'agit d'un exercice dans un environnement sûr, mais quand même. La scène est en outre une belle astuce de mise en scène. Vous pensez qu'elle se trouve dans une cellule d'isolement, mais en réalité elle a tout sous contrôle.»

C'est une histoire très délicate. Qu'est-ce qui était, pour vous, le plus difficile à mettre au point?

«Devions-nous présenter Nicoline comme une femme normale dont on se dit au cours de l'histoire qu'elle porte en elle une blessure psychologique? Ou fallait-il montrer dès le début une femme abîmée? Je ne voulais pas la rendre trop sympathique, mais nous devions tout de même captiver le public. Cela va loin aussi. Elle souffre d'une forte dépendance émotionnelle, et c'est parfois assez désagréable à regarder. Vous vous demandez vraiment ce qui lui prend, ce qu'elle se fait à elle-même. Alors se pose la question de savoir jusqu'où vous pouvez la suivre là-dedans, en tant qu'acteur aussi. Je devais voir ça pour moi-même, et c'est la raison pour laquelle c'est aussi un film personnel pour moi.»

On se demande tout de même comment Nicoline a pu, avec cette blessure, faire une telle carrière en tant que psychologue, car la connaissance et la maîtrise de soi y sont essentielles.

«Si vous faites un peu de recherches, vous découvrirez vite qu'énormément de gens qui travaillent dans la psychiatrie ou en tant que thérapeute n'ont pas eux-mêmes tous leurs problèmes sous contrôle. C'est drôle et c'est ça aussi justement qui est si intéressant à montrer. On ne peut pas le contrôler.»

Êtes-vous allée discuter avec des psychologues et des thérapeutes?

«Oui, mais il y tant de formes différentes et de préférences en matière de thérapie que j'avais beaucoup de liberté pour construire moi-même un personnage. Je ne devais pas m'en tenir de manière stricte à ce que font les thérapeutes. Tous ont une approche très différente. Certains thérapeutes disent qu'ils sont très amicaux avec leurs clients, car cela leur permet de nouer un lien rapidement. D'autres disent qu'ils veillent au contraire à rester professionnels et à ce que tout soit clairement séparé.»

‘Instinct' se passe dans une institution pénitentiaire, où il y a des détenus qui ont été déclarés totalement ou partiellement irresponsables. Avez-vous visité ce genre d'institution?

«Oui. J'ai trouvé ça incroyablement fascinant et quand même palpitant aussi. Je me souviens surtout qu'à un moment donné nous étions entrés dans un atelier où il y avait à la fois des détenus et des accompagnateurs. Et je n'avais aucune idée de qui était qui. Une personne dont je pensais qu'elle devait probablement rentrer tous les soirs dans sa cellule, s'est avérée être un thérapeute, et vice versa. Je ne pouvais pas faire la distinction. C'est très marrant à voir. Et cela a aussi quelque chose de maladroit, quelque chose qui, d'une étrange manière, est sympa. Sans m'en rendre compte je m'étais mise à bavarder avec un groupe de personnes, et quand j'ai appris par la suite pourquoi ces personnes étaient dans cette institution, je me suis dit ‘Mon dieu!'.»

Avez-vous personnellement une expérience de la thérapie?

(Enthousiaste) «Oh oui! Je trouve ça formidable. Je le conseillerais à tout le monde.»

Certains acteurs préfèrent ne pas en faire, car ils craignent que leur créativité en pâtisse s'ils décortiquent tout.

«Je comprends quelque part cette façon de voir, mais je trouve finalement mon travail moins important que ma santé mentale. (rire) Je préfère me sentir bien dans ma tête plutôt que de jouer encore pendant des années avec ma propre colère. Vous ne pouvez pas vous débarrasser de tout en suivant une thérapie. Vous enlevez juste certaines choses. Un thérapeute n'est pas un magicien. Vous devez faire votre part du travail, sinon cela ne marche pas.»

Voyez-vous la même personne depuis des années?

«Non, et j'ai déjà essayé beaucoup de choses différentes. Je suis devenue une vraie ‘testeuse de thérapies'. Cela peut paraître un peu irrespectueux, mais je suis tout simplement très intéressée par le sujet. Même pour y assister sans plus. Je peux m'imaginer que si je n'avais pas fait le métier d'actrice je serais devenue psychologue.»

Ruben Nollet

En quelques lignes

«Saviez-vous que les femmes ont plus de fantasmes de viol que les hommes?» Nicoline (Carice van Houten), le personnage principal du thriller psychologique néerlandais ‘Instinct', sait tout de même en tant que thérapeute comment réagir face à une déclaration aussi choquante. Celle-ci sort en effet de la bouche d'Idris (Marwan Kenzari), un détenu au long passé de violences sexuelles. Et c'est à Nicoline entre autres qu'il incombe d'évaluer si l'homme est suffisamment réhabilité pour retrouver une place dans la société. Ses collègues estiment qu'il l'est, elle-même voit toujours dans les yeux d'Idris un regard de psychopathe manipulateur. Mais plus elle passe de temps avec Idriss, plus elle se sent attirée par lui. ‘Instinct' peut compter sur deux excellents acteurs principaux et un point de départ qui intrigue, de quoi créer un mélange savoureux, avec aussi une mère surprotectrice, un collègue séduisant (Pieter Embrechts) et une assistante inexpérimentée. Et pourtant le film ne distille pas toute la tension oppressante ou la perversité effroyable de son sujet, loin de là, du fait surtout du développement trop schématique de la relation entre les deux personnages centraux. Autrement dit: la réalisatrice Halina Reijn aurait mieux fait de prolonger ‘Instinct' d'un quart d'heure et d'y insérer quelques approches plus subtiles. Là, on a l'histoire d'une psychologue soi-disant chevronnée qui commet en permanence, et impunément, des erreurs de débutante.

(rn) 3/5