Avec Le Traître, Marco Bellocchio livre un film sur le boss qui a défié la mafia

Marco Bellocchio n'a plus rien à prouver. De la charge politique des ‘Poings dans les poches' aux scènes de sexe explicites du ‘Diable au corps', il a marqué le cinéma italien en touchant à tout… Sauf au sujet le plus prisé dans son pays: la mafia! En compétition au dernier festival de Cannes, il prouve avec ‘Le Traître' qu'il reste encore quelque chose à raconter sur le sujet. Et se confie à Metro sur sa fascination pour son héros, l'homme qui en a fait arrêter 366 autres…
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

Qui est Tommaso Buscetta, le gangster au centre de votre film?

Marco Bellocchio: «Un membre de la ‘Cosa Nostra' qui s'est protégé des clans rivaux en collaborant avec les autorités dans les années 80. Il a longtemps été considéré comme le traître ultime en Italie, après avoir dénoncé ses compères en masse.»

Comment est-il perçu en Italie aujourd'hui?

«À l'époque de son procès, c'était assez contradictoire. En Sicile, la grande majorité des gens le considéraient comme un informateur et un traître. Au point où son nom est devenu une insulte pendant quelques années: [lance en mimant une attitude belliqueuse] 'Espèce de sale Buscetta'! Et en même temps, sa coopération était suivie avec attention car tout le monde espérait qu'elle mette fin aux assassinats perpétrés par la mafia. Aujourd'hui, le temps est passé, mais ça reste le même pays. En Italie, collaborer avec l'État sera toujours mal vu, même si c'est dans l'intérêt général. Certaines campagnes politiques encouragent à mieux aider les autorités, mais ce n'est absolument pas naturel pour les Italiens de se placer du côté de la loi.»

Le procès est mis en scène de façon burlesque. À quel point vous êtes-vous éloigné de la réalité?

«Il y a une part d'invention, mais les faits sont réels. Le tribunal a été construit spécialement pour ce procès, et les accusés se trouvaient bel et bien dans des cellules apparentes. On aurait dit de grandes cages, derrière les témoins et face aux juges. Et oui, tous ces accusés ont tenté de ralentir le procès autant que possible pour éviter le jugement. En criant, en se battant, en se déshabillant… Tout était bon tant que ça posait une difficulté pour le juge et pour l'État!»

Pourquoi avoir mis en scène les rêves de Buscetta?

«Ils sont totalement inventés pour le film. Ils nous ont permis de traduire la complexité de ce moment stratégique où il décide s'il doit parler ou non. Son passé lui revient dans son sommeil sous la forme de sa mère, de sa femme et de ses fils assassinés. Et ils lui demandent de la boucler. C'est pour ça qu'ils lui retirent son alliance du doigt et qu'il finit enfermé dans un cercueil. Il fallait bien montrer sa fragilité.»

Buscetta défend tout au long du film l'idée des origines bienveillantes de la mafia 'Cosa Nostra'. Mythe ou réalité?

«Historiquement, c'est vrai que la mafia est née comme un second pouvoir pour défendre les plus faibles dans les régions où l'État italien était absent, notamment en Sicile. De là est née une sorte de tradition selon laquelle le pouvoir y était exercé par la police, les juges, les prêtres et la mafia. Et la société sicilienne y a trouvé un équilibre. Puis, à la fin de la guerre et de la dictature, la mafia a aidé les Américains venus libérer le pays. Et ensuite le parti social-chrétien qui a gouverné pendant les années 60 et 70. Au point de devenir extrêmement puissante. Dans le film, Buscetta se protège derrière cette image d'homme d'honneur, mais le juge lui répond qu'un crime est un crime, peu importe l'attitude de l'homme qui le commet. Mais ce qui a vraiment tout changé, c'est l'héroïne. La Sicile est soudain devenue le centre du monde, avec des quantités d'argent liquide énormes. Ça a complètement perturbé l'équilibre entre les différentes familles de la mafia.»

Stanislas Ide

En quelques lignes

Encore un film italien sur la mafia… Oui, mais pas n'importe lequel! ‘Le Traître' conte l'histoire vraie de Tommaso Buscetta, un boss sicilien connu pour avoir dénoncé des centaines de criminels (ou d'anciens camarades, c'est selon) pendant les années 80. Alors bien sûr, on a droit à tous les clichés du genre: les fêtes de famille aussi dangereuses qu'un champ de mines, les discours pompeux sur l'honneur et la loyauté, les mandolines… L'approche de Marco Bellocchio (un des grands noms du cinéma transalpin, on lui doit ‘La Belle endormie' et ‘Vincere') reste classique, mais quel spectacle! En particulier pendant la reconstitution du procès, véritable cirque burlesque animé par les accusés, prêts à tout pour ralentir le juge (cris, bagarres, nudisme, tout est bon). Le réalisateur en profite pour déconstruire le fantasme de l'homme d'honneur et du crime glamour. Buscetta se protège mentalement en pleurant les origines non-criminelles de la mafia. C'est ce discours qui lui permet de franchir le pas de la collaboration. Mais en y opposant les images de ses délits, Bellocchio remet l'église au milieu du village. Et on l'en remercie! (si) 4/5