Au théâtre cette semaine - Le 5 mai 2016

Potiche
par
Nicolas
Temps de lecture 4 min.

Créée par le duo Barillet et Grédy en 1980, « Potiche » était un rôle sur mesure pour Jacqueline Maillan. Dans le film d'Ozon de 2010, Catherine Deneuve n'avait donc pas démérité en apportant sa propre version, moins clownesque, de cette bourgeoise au foyer devenue du jour au lendemain cheffe d'entreprise.

Marie-Paule Kumps, initiatrice de cette version 2016 aux Théâtre Royal des Galeries, penche davantage du côté de l'interprète originelle de Suzanne Pujol, née Michonneau. La comédienne dit avoir toujours rêvé d'endosser la charge d'un tel rôle comique au féminin. Revenons un instant sur le propos, pour celles et ceux qui auraient loupé de précédentes versions. Cantonnée à son rôle de maîtresse de maison par son colérique de mari, Robert (Bruno Georis), Suzanne est complètement détachée des affaires familiales. Si elle amené le jour de son mariage les ateliers de fabrication de parapluie de son père, le gendre s'est dépêché de prendre la main et de mener la barque de manière autoritaire. De fait, l'entreprise autrefois florissante est en proie avec un conflit social agité. Le voilà séquestré. Une fois libéré, le maire communiste, Maurice Babin (Bernard Sens), conseille de confier la direction à quelqu'un d'autre. Suzanne se propose et force est de constater que la ‘housewife' un brin naïve et…'potiche', vaut plus que la décoration de son intérieur.

Ph. Martin Gallone

Outre son caractère diablement efficace dans son déroulé et dans ses dialogues, ce classique du boulevard parisien vaut aussi pour son message social. À la fin des années septante, la question de la place des femmes dans la société, notamment économique, est plus que posée, les féministes vont au front. Traitée par le rire, cette thématique fait mouche portée par des répliques efficaces et une interprète principale qui déploie une sacrée énergie, s'inspirant des mimiques de son modèle. Quand le kitsch risque de peser, autant l'assumer à fond. C'est le choix fait par Nathalie Uffner qui garde l'époque et maintient son action dans un intérieur seventies, pattes d'eph', papier-peint orangé et fiston baba-cool en prime. La directrice du TTO profite de son déplacement pour apporter des ingrédients qui ont fait recette dans sa maison-mère : de la fantaisie et du disco, sans pour autant forcer la mesure !

On est tombé sous le charme de Marie-Paul Kumps et de sa bande (Cécile Florin, Marie Braam et William Clobus s'ajoutant aux précités). « Potiche », version 2016 se regarde avec beaucoup de rires et de plaisir.

Kennedy

Nous sommes le 22 novembre 1962. Marylin vient d'interpréter le plus sensuel des « Happy Birthday » pour JFK. De retour dans sa chambre d'hôtel, ce dernier se fait littéralement remonter les bretelles par son cadet Bobby. La blonde incendiaire risque d'être un sacré caillou dans la chaussure présidentielle en termes de réputation. D'autant plus que le couple John Fitzgerald-Jackie a été brandi comme le modèle du couple moderne et respectable. Le président n'est pas dupe, il sait son couple périmé. Et vu son état de santé, il n'a guère envie de se priver.

Ph. D. R.

Thierry Debroux a bien travaillé son sujet, essaimant ici et là dans la conversation entre les deux frères les faits marquants du mandat, à un an de sa tragique issue. John -Alain Leempoel, tout en classe- confie à Robert -Dominique Rongvaux tout en inquiétude fraternelle- les raisons de son insouciance. Marqué par une santé fragile, le président cache sa douleur intenable par un corset invisible des médias. Si jusque-là, la pièce manque un rien d'enjeu narratif mais se regarde sans ennui, la respiration surgit avec un troisième personnage féminin. Apparaissant seulement quand JFK se retrouve seul dans sa chambre d'hôtel, Anouchka Vingtier interprète tantôt le spectre d'une Marylin flamboyante, tantôt la sage Jackie Kennedy, comme les deux faces d'une même conscience lui prédisant la malédiction familiale des Kennedy, faite de morts violentes. La comédienne passe avec aisance d'une facette à l'autre, sans flancher. Classique mais élégante, la mise en scène de Ladislas Chollat manque toutefois de surprise, servant avant tout le jeu d'un bon trio d'acteurs.

Molière

Derrière ce titre simple se cache une double symbolique pour le Théâtre en Liberté. C'est une affirmation de son attachement à un théâtre populaire, du répertoire. Mais le choix de confier la mise en scène de ce spectacle à Frédéric Dussenne révèle sans doute une remise à plat d'un travail mené depuis de nombreuses années. Le départ à la retraite de l'animateur des origines de la compagnie, Daniel Scahaise, impose à ses membres et successeurs de réfléchir à leur travail. Un regard extérieur était sans doute le bienvenu, le temps de la transition. La saison prochaine, le Théâtre de la Place des Martyrs ouvrira sa saison avec « Les Femmes Savantes » sous la houlette de ce même homme de théâtre déjà bien aguerri. C'est pourquoi cette proposition biographique sur Molière apparaît comme un prologue à ce prochain spectacle.

Frédéric Dussenne a confié à Michel Bellier le soin d'adapter le roman de l'auteur soviétique Mikhaïl Boulgakov. Dans son « Roman de Monsieur de Molière » (écrit en 1933, publié censuré en 1962 et finalement rendu public dans son intégralité en 1989), l'écrivain portait son regard d'artiste sur la vie d'un autre artiste. Jean-Baptiste Poquelin, y apparaît aux épisodes marquants de son existence.

Ph. Kim Leleux Ph. Kim Leleux

La troupe ici s'en empare dans son cube couvert sur ses deux côtés pour permettre aux spectateurs répartis en gradins bi-frontaux d'observer l'expérience, le travail en œuvre. On est comme convié à une lecture, à une répétition. Les comédiens se distribuent les rôles et les interprètent tour à tour : Molière bien sûr, mais aussi les Béjart (Joseph, Madeleine et Armande), Monsieur, frère du Roi, Louis XIV en personne. Tous sont les acteurs d'une vie : de la fondation de l'Illustre-Théâtre à la mort au travail de la comédie classique à la française. Ce qui marque ce sont les parallèles entre Molière Boulgakov et le Théâtre en Liberté lui-même. Le partage des passions : du théâtre bien sûr et de la recherche d'une liberté culturelle, bravant la censure. Molière et Boulgakov furent à ce point des combattants féroces de ceux qui voulaient les faire taire.

Véritable œuvre chorale (avec les piliers de la compagnie comme Hélène Theunissen, Stéphane Ledune, Christophe Destexhe, Bernard Gahide, Sylvie Peredrejew, Isabelle De Beir, etc.), la direction d'acteurs de Dussenne, maîtrisée, déroule le spectacle comme une ligne droite simpelment ponctuée de ces étapes de vie. Peu d'effets, le retour à une certaine simplicité, à une épure où seul l'éclairage est modulé. Parfois trop, car on manque par moments  de soubresauts, voire de Molière notamment, de sa fougue, de sa langue, de son humour. C'est le choix d'être au plus près de l'homme, plutôt que de ses personnages. Gageons de retrouver un peu plus de relief dans le Molière qui nous attend en septembre.

Nicolas Naizy