Au Sénégal, l'infini combat des bénévoles qui nettoient les plages

Tels des Sisyphe punis des Dieux, des bénévoles de Bargny, ancien village de pêcheurs du Sénégal, ont beau enlever les ordures, elles reviennent inlassablement joncher les plages, repoussées par les vagues ou déposées par les habitants, faute de système adéquat de collecte.
par
Clement
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"Tant que la plage ne sera pas propre, nous ne lâcherons pas", confie Médoune Ndoye, à la tête d'une association locale de protection de l'environnement. "Nous avons l'impression que nos investissements sont vains", mais "nous sommes plus que jamais déterminés", ajoute Médoune Ndoye, 29 ans, qui se présente comme un activiste et un musicien.

Il y a quelques semaines, il a organisé une collecte sur internet qui a permis de réunir 250.000 francs CFA (375 euros) pour acheter "des râteaux, des gants, des brouettes, des sacs et des pelles". Avec les volontaires de son association, il a passé trois jours à déblayer la grande plage de cette ville qui compte quelque 60.000 habitants, à une trentaine de kilomètres de Dakar.

Sur son téléphone, le jeune homme montre le résultat: une plage de sable débarrassée des sacs en plastique, des bouteilles d'eau, des restes de filets de pêche et des carcasses de poissons qui la défiguraient. Mais plusieurs jours plus tard, "tout est à nouveau sale", soupire-t-il en parcourant du regard des ordures à perte de vue.

Canal aux eaux verdâtres

Pour lui, les chalutiers et les pirogues des pêcheurs artisanaux, en rejetant à la mer leurs déchets, et les habitants eux-mêmes, en venant vider leurs poubelles à même la plage, sont responsables de ce retour incessant de la pollution. "Il y a une quinzaine d'années, nous allions à la plage nous prélasser. Nous ne pouvons plus le faire maintenant à cause des saletés", déplore Thiaboye Samb, une mère de famille.

Bargny, coincée entre l'océan et l'autoroute, conserve ses petites maisons de pêcheurs de la communauté Lébou. Mais la commune jouxte aussi la ville nouvelle de Diamniadio et est bordée d'industries, notamment dans le secteur du ciment. Un grand port minéralier est en cours de construction.

Malgré ces développements et projets pharaoniques, l'ancien village n'a pas vu ses infrastructures se moderniser. Comme dans de nombreuses localités du Sénégal, une gestion efficace des déchets y fait défaut.

La mairie a bien fait creuser un canal pour évacuer les eaux de pluie. Mais une eau verdâtre y stagne généralement, mêlée à des détritus, et les déchets qui envahissent ses rives attirent chèvres, moutons et poules.

Pour Pape Ndoye, père de famille au chômage d'une cinquantaine d'années, l'absence de bacs à ordures dans les rues explique en partie la saleté. En outre, les camions de collecte des immondices ne peuvent accéder aux ruelles des quartiers populaires.

"Reconquérir la mer"

"Des populations viennent de quartiers éloignés pour déposer leurs ordures sur la plage", ajoute-t-il. Comme pour lui donner raison, une jeune fille déverse une bassine au contenu incertain dans une décharge sauvage face à la mer.

Un responsable de la municipalité, Mandoye Ndoye, assure que les autorités locales ont pris des mesures ces dernières années. "Depuis 2015, la mairie a initié un programme de collecte avec des camions. En plus de la sensibilisation, nous allons mettre des containers à disposition avec trois points de collecte", promet-il, en désignant des ouvriers justement occupés à construire ces abris à poubelles.

La mairie veut aussi lancer la "reconquête du bord de mer", en relogeant une centaine de ménages dont les maisons sont menacées par l'érosion côtière et en réaffectant les surfaces ainsi libérées à des activités de loisir, selon ce responsable.

Les rapports entre les bénévoles et les autorités locales ne sont toutefois pas au beau fixe. "Elles ne répondent pas à nos courriers, ne viennent pas à nos manifestations, nous prenant pour des opposants", explique Médoune Ndoye, pour qui les services de la commune "doivent collaborer avec la société civile""Nous ne nous engageons que pour des actions transparentes", rétorque un responsable municipal, sans plus de commentaire.