Après un an de confinement, le secteur culturel suffoque et réclame des perspectives

Avec l'horeca, le monde culturel fait incontestablement partie des secteurs les plus touchés depuis le début de la crise sanitaire. A l'agonie, les acteurs culturels essaient désespérément de faire entendre leur voix en faveur d'un assouplissement des restrictions à leur égard. Tous réclament des perspectives, d'autant plus qu'aucun foyer de coronavirus n'a été relié à leurs activités.
par
oriane.renette
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Alors que les cinémas, les théâtres et les salles de concert doivent à nouveau garder portes closes depuis le reconfinement d'octobre, les musées ont eux pu rouvrir début décembre dans le respect de règles sanitaires strictes, non sans conséquence sur leur fréquentation cependant.

Face à cette situation catastrophique, plus de 500 actions ont été mises en place samedi dernier dans plus de 120 localités du pays dans le cadre de l'appel lancé le collectif «Still Standing for Culture». Plus de 20.000 personnes ont suivi le mouvement selon les estimations du secteur.

Ce dernier se dit délaissé voire totalement oublié, alors qu'il risque l'asphyxie, et dénonce un manque total d'écoute de la part des autorités politiques, alors que la culture joue pourtant un rôle indispensable pour la santé mentale des Belges. Une vraie concertation avec l'ensemble des acteurs est donc plus qu'urgente.

"Un véritable cataclysme"

Les chiffres alertent en effet de la situation très compliquée dans laquelle se trouve actuellement embourbé le monde culturel.

La pandémie de Covid-19 a ainsi entraîné une baisse historique des fréquentations des musées à Bruxelles et en Wallonie, qui ont connu une année 2020 très difficile avec des fermetures successives du 14 mars au 18 mai et du 23 octobre au 1er décembre. Malgré la reprise, les jauges imposées quant au nombre de visiteurs simultanés et l'absence criante de touristes étrangers ne permettent pas d'entrevoir sereinement 2021.

«Au niveau de la fréquentation, on peut parler d'un véritable cataclysme avec 2.100.000 entrées en 2020, soit 58% de moins qu'en 2019», indique l'asbl Brussels Museums qui réunit plus de 100 musées de la capitale. «Pour le mois de leur réouverture en décembre, les musées ont toutefois comptabilisé 152.000 entrées, un retour encourageant, avec même quelques musées qui ont affiché 'sold out' pendant les vacances d'hiver. Toutefois, malgré les bons chiffres en décembre, nous restons à moins 53% par rapport au mois de décembre 2019.» Et cette tendance semble se maintenir concernant les premiers mois de 2021. «Nous avons constaté en janvier une baisse de 47% des visiteurs par rapport au même mois en 2020», déclare Jérôme Bruyère, coordinateur communication de Brussels Museums.

Note positive au tableau: les activités pour les moins de 12 ans peuvent reprendre. «On peut donc reprévoir des activités», se réjouit Jérôme Bruyère, qui assure par ailleurs que les nocturnes des musées prévues fin avril se tiendront malgré tout, toujours dans le respect des règles sanitaires.

De manière générale, les expositions phares, de niche ou musées à l'ancrage plus local s'en sortent visiblement mieux dans l'ensemble que ceux dont la fréquentation dépend en grande partie des touristes, ressort-il encore des chiffres disponibles.

«Il s'agit d'une reprise fragile qui a elle seule ne résoudra pas les écueils du secteur», insiste cependant l'association, qui pointe également le fait que de nombreux travailleurs sont encore sans emploi. D'un point de vue économique, le montant des pertes financières pour les musées bruxellois est estimé à quelque 20 millions d'euros.

Même constat au sud du pays où l'asbl Musées et Société en Wallonie (MSW), représentative du secteur muséal wallon, se dit inquiète de la baisse des fréquentations, que les périodes de réouverture ne semblent pas résorber.

«Il y a eu en moyenne une chute de 57% de la fréquentation sur 2020 (par rapport à 2019)», peut-on lire dans le bilan annuel de l'asbl. «Ramené à l'ensemble du secteur, cela représente une chute de 2.526.202 visiteurs par rapport à 2019. Multiplié par le prix moyen d'une entrée, cela représente un manque à gagner pour le secteur de 12.537.734,95 euros.» Ce chiffre est toutefois à nuancer au vu du pourcentage important d'entrées gratuites. «Selon notre expérience de terrain, et si l'on tient compte de la gratuité, la perte est plutôt de 50% de ces 12 millions au niveau de la billeterie», précise-t-on du côté de MSW.

Un retour dans les salles de cinéma en mars?

Outre les musées, la situation est également intenable pour les cinémas, qui ont fermé au total 7 mois depuis le début de la crise en mars 2020.

«La perte totale pour l'année 2020 est estimée à 210 millions d'euros et chaque mois de fermeture supplémentaire représente une perte additionnelle de 25 millions d'euros», relève tristement la Fédération des Cinémas de Belgique (FCB), qui fait état d'une baisse de fréquentation de 70% en 2020 par rapport à 2019 pour les salles obscures. «Les conséquences économiques sont dramatiques avec de nombreux emplois directs et indirects menacés alors que le secteur était déjà fragile. Sans mesure de soutien, c'est 98 cinémas qui devront fermer leurs portes et 1.250 emplois qui disparaîtront.»

«On réclame des perspectives pour mars. La ministre Linard a avancé la date du 15 mars, ce qui nous irait très bien pour avoir une période de rodage avant les vacances de Pâques», souligne le secrétaire de la FCB, Thierry Laermans, qui précise que de nombreuses sorties de films sont annoncées pour cette période.

Ce dernier insiste par ailleurs sur le fait que tous les cinémas sont prêts à rouvrir en toute sécurité. «Tous les cinémas ont appliqué le protocole de sécurité à la lettre dans les salles et aucun foyer de la Covid-19 n'a jamais pris sa source dans une salle de spectacle», rappelle-t-il.

«On peut par ailleurs constituer une alternative pour les 16-25 ans notamment, en accueillant les gens de manière contrôlée. Des rassemblements ont été constatés dans les parcs durant le dernier week-end de carnaval en raison du beau temps. C'est une situation dangereuse qu'on ne retrouvera pas au cinéma. Une réouverture des salles obscures pourrait aider à disperser la masse», renchérit-il.

Au total, les aides perçues par les salles de cinéma ne dépassent pas les 3 millions d'euros en Belgique, des montants particulièrement réduits à l'échelle de la crise et en comparaison avec ceux dégagés pour les cinémas dans les pays limitrophes. Au sud du pays, la Région wallonne aurait cependant décidé d'un exemption des taxes communales sur le spectacle. «On invite Bruxelles et la Flandre à faire de même», encourage Thierry Laermans.

«Combien de mois pourrons-nous encore tenir comme ça? «, s'interroge pour sa part l'Union de professionnels des arts et de la création - pôle travailleur (UPAC-T), qui réunit une quinzaine de fédérations défendant les intérêts des travailleurs de diverses disciplines (arts plastiques, audiovisuel/cinéma, arts vivants, bande dessinée, illustration, musiques).

«La course en avant du gouvernement dans une stratégie unique (on attend la vaccination et on laisse sous le couvercle des secteurs entiers de la société au risque de les faire imploser) nous semble arriver à ses limites», estime l'UPAC-T. «Il y a le risque sanitaire. Mais il faut aujourd'hui intégrer dans les décisions du gouvernement les risques psychologiques, sociaux, économiques, démocratiques. La culture doit être vue par le gouvernement comme un partenaire pour traverser une crise devenue structurelle.»

L'union professionnelle pointe également la précarisation et même la pauvreté de ses membres. «La Belgique est un état social, et des aides ont été libérées pour un certain nombre de travailleurs», indique-t-elle. Mais cela n'a pas permis d'aider tout le monde. «Ceux qui étaient au statut d'artiste avaient normalement des revenus complémentaires. Ils vivent aujourd'hui avec 1.000 € par mois en moyenne. Ceux qui n'étaient ni indépendant, ni sous statut, sont aujourd'hui au CPAS.»

L'UPAC-T regrette également un «choix des termes, des concepts, de la sémantique malheureux» dans la gestion de la crise, faisant référence au clivage essentiel/non essentiel. «Nous avons accepté de n'être pas prioritaire lors des déconfinements. Mais aujourd'hui, nous le sommes devenus, prioritaires», insiste-t-elle.

«Nous préconisons depuis maintenant plusieurs semaines une stratégie de répartition des risques non plus basés sur des secteurs d'activité (quelques secteurs fermés pour laisser les autres en activité), mais sur une solidarité intersectorielle (avec des protocoles adaptés pour l'ensemble des situations : commerce, transports, open space, les lieux de rassemblement et de contacts sont multiples). Nos lieux sont aussi sûrs voire plus sûrs que d'autres lieux de rassemblement. Les laisser fermer est donc un choix idéologique, politique, mais pas purement sanitaire», conclut-elle.

C'est «un véritable coup de massue pour l'économie culturelle belge», a pour sa part récemment estimé la société des auteurs, compositeurs et éditeurs (Sabam), qui indique que le secteur culturel enregistre des pertes de 319 millions d'euros en raison des mesures de restrictions liées à la crise sanitaire.

Les revenus issus d'événements culturels sont en recul de 87%. Les festivals, les soirées et les représentations théâtrales subissent l'impact économique le plus sévère. Les festivals perdent le chiffre astronomique de 99% de leurs recettes de billetterie.

Au cours de 2020, seuls 21.429 événements culturels ont eu lieu, selon la Sabam. En 2019, ce chiffre était de 92.972, soit une baisse de pas moins de 77% en un an.

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