L'ordonnance mettant en doute la légalité des «mesures Covid» introduite lundi en appel

La décision du tribunal civil de Bruxelles, qui enjoint l'État belge à mettre un terme à l'illégalité apparente des «mesures Covid» sera introduite en appel lundi.
par
sebastien.paulus
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Cette première audience ne sera vraisemblablement consacrée qu'à l'établissement d'un calendrier d'échange de conclusions et à la fixation de dates de plaidoiries. Comme en première instance, la procédure en appel se déroule en référé. Si la cour d'appel les confirme ou les modifie, les injonctions du premier juge resteront donc provisoires, dans l'attente d'un éventuel débat au fond.

Le tribunal civil de Bruxelles, siégeant en référé, a décidé, le 31 mars dernier, à la requête de la Ligue des droits humains et de la Liga voor mensenrechten, «d'écarter l'application de l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 et de ses arrêtés subséquents concernant les mesures qu'ils édictent dans le cadre de la pandémie de coronavirus».

Et il a «condamné l'État belge à prendre toutes les mesures qu'il estimera appropriées pour mettre un terme à la situation d'illégalité apparente découlant des mesures restrictives des libertés et des droits fondamentaux contenues dans l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 et ses arrêtés subséquents et ce, dans un délai maximal de trente jours calendrier à dater de la signification de la présente ordonnance, ceci sous peine d'une astreinte de 5.000 € par jour de retard, avec un montant maximum de 200.000 €.

Réparer l'illégalité

Ces deux paragraphes du dispositif ont pu prêter à confusion. Pour Jean-François van Drooghenbroeck, professeur de droit judiciaire à l'UCLouvain, ils doivent être lus l'un en combinaison avec l'autre.

«Ce que le juge des référés a voulu dire c'est que trente jours après la signification de son ordonnance le gouvernement doit avoir pris les mesures appropriées, réparatrices de l'illégalité dénoncée. Ce n'est qu'à défaut d'une telle réparation dans le délai imparti au gouvernement, et seulement passé ce moratoire, que les arrêtés ministériels litigieux perdraient leurs effets et seraient écartés. Le dispositif de l'ordonnance doit se lire comme un tout. Le juge n'a pas pu vouloir créer un vide juridique national de trente jours», a expliqué à Belga le professeur.

«Pour le moment, durant ce moratoire de trente jours, nous - les parties à l'ordonnance et tous les Belges dont les ligues ont porté l'intérêt collectif - devons donc nous en tenir à la légalité en sursis de ces arrêtés ministériels. Et le jour venu, on jouira tous soit de la nouvelle législation réparatrice, soit de la levée de ces arrêtés si le législateur ne prend pas les mesures 'appropriées'», a-t-il ajouté.

Tous concernés

«Quant à la portée de l'ordonnance, elle s'applique à tous les Belges me semble-t-il. Pourquoi ? Pour deux raisons cumulatives. D'abord parce que les deux ligues agissent dans un intérêt collectif, ce qui est longuement expliqué dans l'ordonnance. Or, l'ensemble de la population jouit des droits humains dont les deux ligues défendent la protection. Ensuite, parce qu'on parle ici d'arrêtés ministériels qui, par définition, ont vocation à s'appliquer à tout le monde. Par contre, quant à savoir à qui seraient dus les frais de justice et les éventuelles astreintes, c'est uniquement aux parties demanderesses. Il faut bien distinguer, ici, le bénéfice de la chose décidée et les obligations procédurales des parties à l'ordonnance», a exposé le juriste.

Dans son ordonnance, le tribunal a estimé que les trois lois sur lesquelles se base le gouvernement pour élaborer des mesures restrictives des droits individuels en vue de ralentir la propagation du coronavirus ne sont, en apparence, pas suffisantes. Or, dit-il, «la limitation des libertés et des droits fondamentaux est soumise dans presque tous les cas à un principe de légalité et nécessite dès lors toujours une intervention spécifique du pouvoir législatif».

Deux lois visées

La première loi dont il est question, du 15 mai 2007, est relative à la sécurité civile. Elle a été adoptée à la suite de la catastrophe de Ghislenghien et permet au ministre de l'Intérieur de prendre des mesures de réquisition et d'évacuation. Pour le juge, la fermeture de divers établissements horeca, culturels et sportifs notamment, tout comme la suspension de l'obligation scolaire ou encore la limitation des rassemblements n'entrent pas dans le cadre des réquisitions et des évacuations décrites dans cette loi. Le juge a estimé qu'elle «vise des situations bien spécifiques qui ne recouvrent pas la situation de gestion d'une pandémie».

La seconde loi, celle du 31 décembre 1963 sur la protection civile, permet au ministre de l'Intérieur, en temps de guerre ou de menace de catastrophes, d'obliger la population à s'éloigner de lieux menacés ou sinistrés, d'assigner des lieux de séjour provisoire et d'interdire tout déplacement. Cette autre loi, selon le juge, ne permet donc pas «de prendre des mesures générales restrictives des droits fondamentaux telles que visées par l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 et de ses arrêtés subséquents».

Enfin, la troisième loi, celle du 5 août 1992 sur la fonction de police, prévoit notamment que le ministre de l'Intérieur exerce à titre subsidiaire les attributions du bourgmestre si celui-ci manque, volontairement ou non, à ses responsabilités lorsque des troubles à l'ordre public s'étendent au territoire de plusieurs communes. Le juge, pour parvenir à la conclusion que cette base légale est elle aussi insuffisante, s'est entre autres basé sur l'analyse, publiée dans une revue spécialisée, du professeur en droit administratif Geoffrey Ninane. Celui-ci a affirmé qu'il est discutable que les arrêts en question puissent encore aujourd'hui être considérés comme une «réglementation subsidiaire de circonstance», compte tenu de la variété et de la généralité des mesures et surtout, de leur durée.