Marc Lévy : « Tout le monde peut entrer en résistance »

Marc Lévy revient avec « Le Crépuscule des Fauves », le tome 2 d'une série haletante dans laquelle on suit les aventures des Robins des Bois du 21e siècle : ces hackeurs qui, au péril de leur vie, luttent
par
oriane.renette
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contre les dérives du monde moderne.

Comment est née cette saga « 9 » ?

« De l'envie d'écrire un thriller entièrement ancré dans une réalité, une réalité qui me touche. L'action s'inscrit dans un combat de société d'aujourd'hui. C'est le sujet qui a donné naissance au roman. Quand on aborde ces thèmes de société de manière informative, il peut y avoir une réaction de rejet. Mais incarnée par des personnages auxquels on s'attache et entraînée par une action trépidante, tout à coup la fiction nous ouvre les yeux. C'est toute la magie de ‘1984', c'est l'extraordinaire puissance du monde dystopique de la ‘Servante écarlate'. »

Votre roman, il ne s'agit pas d'une dystopie

« Il y a une vraie préoccupation sur le devenir et la fragilité de nos démocraties. Sur la régression des libertés et des démocraties, et sur l'apparition d'une puissance autoritaire inédite, qui est celle des très grandes entreprises.

Sans les industriels allemands, Hitler n'arrive pas au pouvoir. C'est la complicité des industriels allemands, qui ont mis la puissance économique de l'Allemagne au service du mouvement nazi, qui ont permis au nazisme de prendre le contrôle de l'Allemagne en 1939. J'ai revu la même chose aux États-Unis avec l'arrivée de Trump. La corruption s'installe entre un parti politique et de très grandes puissances financières. Cet appareillage de corruption généralisé au plus haut sommet va compromettre la démocratie américaine, au point d'en arriver à un coup d'état le 6 janvier. En habitant aux États-Unis, j'ai eu envie de raconter tout ça. Mais pas sous une forme documentaire. En racontant l'histoire de ces hackeurs, ces Robins des Bois qui ont décidé d'entrer en résistance contre cette dérive. »

Finalement, ce ne sont pas eux les plus grands hakeurs. Le hack du siècle, c'est plutôt quand Facebook et consort volent nos données sous notre nez…

« Absolument ! Google, Twitter, Facebook… Mais aussi tous ceux qui travaillent dans cet écosystème d'achat et de vente de données. Derrière les GAFA, des dizaines d'entreprises font commerce sur ce marché de la data, un marché de plus de trois milliards de dollars ! Et la marchandise, c'est vous.

Chaque fois qu'une très grande entreprise, qui n'est pas une élue, s'approprie un pouvoir, c'est un pouvoir qu'elle enlève aux démocraties. Quand les GAFA s'emparent en toute impunité de nos données personnelles, qui sont les choses les plus précieuses, c'est une partie de nos libertés qui nous échappe et qui appartient désormais à des entreprises privées qui en font commerce. »

Vous nous rappelez en préambule que « la dictature peut s'installer sans bruit ». Pour vous, où en est-on aujourd'hui ?

« Le problème, c'est l'absence d'encadrement. Ce n'est pas la technologie qui est à remettre en cause, c'est la façon dont un tout petit nombre de gens se l'approprient et l'incroyable usage qu'ils en font. Si après le scandale de Cambridge Analytica, Zuckerberg et son conseil d'administration avaient été condamnés, même avec sursis, les choses auraient changé ! Aujourd'hui, les rares condamnations qui tombent sont financières et sont, comme le dit Cordelia dans le roman, ‘une piqure de moustique sur le cul d'un éléphant' ! Ils s'en foutent et continuent leur entreprise destructrice. Mais il n'est pas trop tard. À un moment donné, il faut un courage politique, que la sanction tombe et qu'elle frappe fort ! »

Au contraire, les hackers, eux, risquent très gros quand ils dénoncent les manipulations et malversations…  

« Le principe d'une autocratie est de vouloir réduire au silence ceux qui la dénoncent. Les gouvernances ne supportent pas que des lanceurs d'alerte dénoncent leur impuissance. Et ceux qui abusent de leur gouvernance ne supportent pas que les lanceurs d'alerte les dénoncent… Les hackers sont des résistants de la première heure, c'est évident. Nous sommes à une époque où de grands acteurs économiques s'accaparent indument les richesses des populations - et de ce fait prennent pas à pas le contrôle de nos démocraties. Les lanceurs d'alerte sont évidemment leurs ennemis n°1. »

Dans ce deuxième tome, ces hackeurs se rencontrent en personne. Ça donne une nouvelle dynamique à leur engagement ?

« Oui. Ce qui était particulier dans leur relation, c'est qu'ils sont meilleurs amis depuis dix ans, qu'ensemble ils ont pris des risques énormes et ils se rencontrent enfin physiquement. Au moment où ils se rencontrent, ça donne une nouvelle liberté, ça agit comme un accélérateur de particules. C'est pour ça qu'il y a encore plus d'action dans ce deuxième tome. »

Le drame des réfugiés syriens est aussi au cœur de cette saga. Pourquoi avez-vous eu à cœur d'en parler ?

«  L'humanité c'est un tout. La conscience humaine et sociétale est double. Il y a un regard à la fois porté sur ceux qui veulent détruire nos démocraties, et sur nos propres impuissances face à d'autres dictatures, sur ce que nous, nous ne faisons pas pour ceux qui sont dans le besoin. Le roman est une fresque de l'humanité. »

Comment, sans être hackeur de haut vol, peut-on lutter contre ces superpuissants ?

« Mon papa était dans la résistance quand il avait 20 ans. Il refusait absolument d'en parler et d'être vu en héros. Quand lui demandais pourquoi, il me répondait : ‘J'ai fait ce que je devais faire'. Tout le monde a un moyen de résister.

 Il faut se souvenir que le pouvoir des consommateurs est incroyable. Quand Instagram change insidieusement ses conditions d'utilisation, en un seul week-end, cinq millions de personnes se sont désabonnées pour aller sur Telegram. Si on est des centaines de millions à quitter Instagram pour une entreprise de messagerie qui s'engage à ne pas fliquer nos conversations, notre pouvoir de consommateur va pouvoir contraindre des entreprises malsaines à changer de modèle économique.

Il y a aussi un moteur de recherche qui s'appelle Qwant et qui ne collecte pas vos données. Si demain vous achetez des chaussettes via Qwant, vous n'allez pas être inondés de pub pour chaussettes pendant trois semaines ! Pareil avec le navigateur Brave, il ne traque pas vos données. 

On a réussi à rendre des industriels écoresponsables. D'ailleurs, je pense que parmi eux il y en a qui le sont sincèrement. On a réussi à faire basculer une fierté qui était économique à une vraie fierté de contribuer à la société. Ce changement de mentalité est né dans la volonté des consommateurs. Et je pense que l'on peut réussir la même chose sur la collecte de données. »

En quelques lignes

Après « C'est arrivé la nuit », Marc Lévy poursuit sa trépidante saga « 9 » avec « Le Crépuscule des Fauves ». « 9 » comme ces neufs résistants des temps modernes, hackeurs intrépides qui mènent un même combat : déjouer la conspiration des fauves. Les fauves, ce sont cette poignée de puissants qui s'attaquent à nos libertés et nos démocraties.

Dans ce nouveau thriller, Marc Lévy poursuit sa fresque implacable du monde moderne : montée des extrêmes, manipulation des masses, corruption, alliance des géants pharmaceutiques, … Pour lutter contre ces dérives, le groupe 9 s'engage dans une véritable course-contre la montre. Un deuxième volet au rythme encore plus effréné que le premier !

3/5

« Le Crépuscule des Fauves », de Marc Lévy, aux éditions Robert Laffont, 390 pg, 21,90€.