Zidani : « Il y a un écho entre la fonte de la banquise et l'évanouissement de la culture »

Dans son nouveau spectacle, Zidani interprète Rosine, une ouvreuse au Brussel's Whalll Palace. Touché par la pandémie et un couvre-feu des autorités, ce prestigieux établissement ne pourra pas programmer la dernière représentation de « britannicus ». À la place, il diffusera « les pingouins à l'aube ou Mlle Frankenstein chez les manchots ». L'occasion parfaite pour Zidani d'aborder des thèmes comme l'écologie, la science et évidemment, le coronavirus.  
par
oriane.renette
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Votre spectacle est programmé depuis la saison passée, quel impact a eu la covid sur l'écriture ?

« Je dirais que ça a ancré l'écriture. Il faut savoir que c'est un spectacle dont j'ai déjà rêvé il y a longtemps mais à chaque fois ce n'était pas le bon moment. Pour une fois je voulais faire un spectacle qui traite de sujets comme l'écologie. Ce qui fait l'ADN de mes spectacles est un petit peu différent puisque je suis en général plus sur un plan sociétal. Mais avec les années qui passent, je trouve que l'écologie devient aussi un problème social. C'est quelque chose qui devient de plus en plus important, qui fait partie de nos vies. Donc je trouvais que c'était le bon moment de programmer le spectacle. Et voilà que le coronavirus est arrivé entre-temps. Et là, il m'a semblé de plus en plus évident que ce coronavirus mettait en lumière les failles de notre société, notamment au niveau de la culture, de l'enseignement, et des soins de santé. Et aussi qu'il y avait comme un écho entre la fonte de la banquise et la culture qui s'évanouit de plus en plus. »

Le personnage que vous interprétez, Rosine, doit s'occuper de tout dans le Brussel's Whalll Palace. C'est une manière de dénoncer le manque de soutien des autorités au secteur culturel ?

« Oui, et rosie c'est aussi l'invisible. J'aime bien dans mon travail donner la parole aux gens qui ne sont pas au premier plan mais qui ont souvent une importance pour faire fonctionner le monde. Ici, Rosine est vraiment l'invisible dans le monde de la culture. »

Elle représente aussi tous les métiers qui gravitent autour de la culture.

« C'est ça, comme les techniciens par exemple. Ce sont des gens dont le rôle n'est pas valorisé mais qui sont très importants. »

Il y a quelques semaines, vous avez publié une lettre ouverte à Sophie Wilmès. Quel a été l'élément déclencheur ?

« J'ai paniqué quand j'ai vu que le gouvernement avait décidé de limiter le public présent dans les salles à 200 personnes, peu importe la capacité de la salle. Et j'étais un peu surprise de voir avec quelle passivité on accueillait cette nouvelle, grave selon moi. C'est un peu comme si on nous punissait tout le temps dans cette crise. Les artistes, on est tout le temps mis sur le côté et cela a pour effet que les gens deviennent frileux au moment de venir voir un spectacle. Ce qui est bizarre car ils n'ont pas hésité à prendre l'avion, le train, ou à aller au restaurant et au supermarché. C'est comme si tout à coup le monde du spectacle était devenu négatif. »

Quelle est la solution alors ?

« Je trouve qu'on aurait pu prendre la décision d'accueillir 65 % de la capacité de la salle par exemple. Cela me semble un ratio logique car dans tous les théâtres on fait attention. Les gens ont leurs masques, il y a du gel partout. Le théâtre n'est pas dangereux. C'est comme si tout à coup la culture était devenue dangereuse. Je pense que c'était une erreur. »

On sent que vous êtes très engagée, notamment socialement. Peut-on dire que votre œuvre est une continuité du travail de Coluche, que vous appréciez ?

« C'est vrai que Coluche, avant d'être un humoriste, était un humaniste. Et il m'a toujours semblé qu'un humoriste est quelqu'un qui raconte sa vision de la société, un peu comme un philosophe. C'est aussi une description sociale que l'on donne dans nos spectacles. Coluche a été un peu plus loin en profitant de sa popularité pour rappeler qu'on ne peut pas rire de tout et qu'il y a des moments où il faut être sérieux. C'est vrai que quand les gens n'ont plus rien dans l'assiette, c'est un problème très important. Et je pense d'ailleurs que dans cette crise du coronavirus, il y a de nouveau eu plein d'oubliés, comme les réfugiés sur l'île de Lesbos par exemple, dont on n'a presque plus parlé à un moment. C'est effrayant. »

Votre rapport avec le public a-t-il évolué depuis le déconfinement ?

« Non, il est resté le même. Les gens étaient très heureux de nous retrouver. Ils avaient envie de rire, de s'amuser. Personnellement le masque ne m'a pas du tout dérangée, je n'ai pas vu de différence. Honnêtement je me suis quasi toujours retrouvée devant des salles pleines par rapport à ce qui était possible. Cela s'est très bien passé. »

D'où vous vient cette vieille fascination pour les pingouins et les manchots ?

« J'ai toujours été un peu fascinée par l'antarctique, sans doute parce que je suis très frileuse et que je n'y irai jamais. La pièce s'appelle ‘les pingouins à l'aube', mais il n'y a pas de pingouins en antarctique, ce sont des manchots empereurs. Il y a un côté anthropomorphique chez les manchots, ils ont une silhouette un peu humaine, avec leur queue-de-pie, leur costume endimanché. Je suis aussi fascinée par leur mode de vie, notamment car le rôle du mâle et de la femelle est équivalent, sinon le poussin ne peut pas survivre et je trouve cela très beau. Et puis ils ont en eux cette pureté qui reste touchante mais qui est malheureusement occupée à disparaître. »

Par rapport à tout ce que vous avez expliqué précédemment, arrivez-vous à envisager le futur sereinement ?

« Je pense que ce sont des jours un peu difficiles mais les bons jours vont revenir. Le monde n'en est pas à sa première crise. J'espère qu'on va apprendre à vivre autrement. C'est plutôt ça mon envie. C'est un peu ma crainte aussi. Je pense qu'il faut davantage responsabiliser les gens car on est tout le temps impliqué dans ce changement. De toute façon, le coronavirus a été clair : quand l'être humain reste chez lui pendant plusieurs semaines, la Terre se porte mieux. À nous d'en tirer les conclusions. »

 Clément Dormal

« Les pingouins à l'aube », du 7 au 10 octobre au W : hall de Woluwe-Saint-Pierre, du 6 au 17 janvier à la comédie centrale de Charleroi, et du 3 au 7 février à la comédie en île de liège.