[Interview] Anne Roumanoff dénonce le machisme de la société et du monde du cinéma

Après 30 ans à fouler les scènes francophones, Anne Roumanoff continue d'attirer les foules. C'est notamment le cas avec son dernier spectacle, «Tout va bien», qui fera une halte en Belgique le 2 avril prochain.
par
ThomasW
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Votre spectacle s'intitule «Tout va bien», est-ce vrai?

«Non, tout va très mal. Mais après c'est l'idée de rire de tout ce qui ne va pas. Vous voyez bien l'époque dans laquelle on vit. C'est une époque de bouleversements… Je ne dis pas que tout va mal non plus mais tout ne va pas très bien.»

Dans votre spectacle, vous vous en prenez au politiquement correct. Est-on obligé de tenir un discours politiquement correct aujourd'hui?

«Ce n'est pas qu'on est obligé… On s‘inscrit dans une époque et il faut en prendre en compte les contraintes. Le politiquement correct part d'un bon sentiment qui est celui de ne pas offenser des communautés. Et c'est vrai que, des fois, il y a des vannes qui vont être dévalorisantes et finalement, cela induit un état d'esprit, un mépris, pour certaines catégories de population. Mais il y a totalement moyen de faire de l'humour sans cela. On peut aussi pulvériser le politiquement correct, cela dépend de quelle manière on le fait.»

Votre spectacle s'inspire en partie de l'actualité.

«Bien sûr, mais il y a toute une partie qui ne concerne pas l'actualité. Je fais un sketch dans lequel je suis une voyante sur scène, je parle des femmes divorcées, des rencontres après divorces, de la place qu'a internet dans nos vies, des imprimantes wifi qui ne marchent pas… C'est une partie du spectacle, mais ce n'est pas tout.»

Vous parlez d'internet et des réseaux sociaux. Vous ne partagez rien de très personnel sur ces derniers…

«Oui, c'est vrai, parfois un peu sur Instagram. C'est compliqué de réfléchir à ce qu'on partage ou pas. Je ne vais pas commencer à photographier mon petit-déjeuner, c'est ridicule. Quand je mets des photos de moi sur Instagram, c'est pour rigoler, et je les mets en story: quand je suis allée courir ou que je prends un coup de soleil par exemple. Le but n'est pas de présenter un moi idéal. Et puis, quand on est connu… Cet été, j'ai mis une photo de moi avec une serviette de plage, j'étais limite en maillot de bain. Je l'ai mise sur Instagram, et juste après la photo s'est retrouvée dans Gala. Il faut donc penser que quand on publie un truc, on est un peu comme une agence de presse de mode. Il y a donc une vigilance importante à avoir.»

Cela fait 30 ans que vous vous produisez sur scène. Depuis vos débuts, le monde de la scène a évolué mais il reste très masculin. Pourquoi selon vous?

«Il y a beaucoup plus de femmes qui ont beaucoup plus de succès qu'avant. Mais, en même temps, c'est vrai que le milieu reste machiste. Regardez à la radio, en émissions d'humour, combien de femmes animent ces émissions? Il n'y a que moi et Charline Vanhoenacker. Pourquoi n'y en a-t-il pas plus? Il y a plein de femmes qui en sont capables. Mais souvent, la femme va être reléguée au second plan, elle va être chroniqueuse… Et je ne parle pas du cinéma où les réalisatrices femmes sont complètement sous-représentées. Là, je veux réaliser un film («Qu'est-ce qu'on va faire de toi maman?», ndlr) et on m'a demandé si je voulais jouer, écrire et réaliser. Bah oui en fait! Comme Dany Boon, comme Franck Dubosc… Pourquoi moi, qui suis une femme avec 30 ans de carrière, pourquoi on me demande ça? Il y a vraiment un machisme dans la société. Je trouve cela bien que les bouches s'ouvrent et qu'on puisse le dire maintenant, parce que c'est rageant. Je ne suis pas ‘féministe le poing levé', mais il y a des trucs qui me mettent vraiment en colère, surtout quand on y est confrontée directement.»

C'est pour cela que votre film a pris du retard?

«Oui, on devait le tourner l'année dernière. On a du mal à trouver un distributeur… Le but n'est pas de me donner un statut de victime, mais je l'ai vraiment constaté. En plus, mon scénario parle des relations homme-femme… J'ai eu des réactions de femmes qui disaient que les femmes en prenaient plein dans la gueule dans le film. Alors que non, je décris juste des femmes. J'ai eu des hommes qui me disaient que les hommes en prenaient plein dans la gueule dans mon film. Il faudrait savoir… (rires). Je ne pensais autant cristalliser les gens avec ce film.»

Après 30 ans sur scène, ne ressentez-vous pas de lassitude?

«Non pas du tout, au contraire je ressens beaucoup plus de plaisir qu'avant. Je me rends compte de la chance que j'ai de faire ça, que ça marche… Ce n'est que du plaisir.»

C'est grâce au plaisir que vous prenez que le public est toujours là?

«(Rires) Il n'y a pas que moi qui prends du plaisir, je pense que j'en donne aussi. Mais je pense surtout qu'il est important de garder de la fraîcheur. À un moment, s'il y a un sketch qui m'ennuie, je vais arrêter de le faire.»

Le spectacle a donc évolué en un peu plus d'un an.

«Oui, il évolue tout le temps. Mais après, une fois que c'est rôdé et que ça fait rire, je ne vais pas changer pour changer.»

Votre spectacle s'appelle donc «Tout va bien». Mais vous présentez également une émission, «Ça fait du bien», sur Europe 1. Qu'est-ce qui vous fait le plus de bien, la radio ou la scène?

«La scène, c'est mon mode d'expression naturel. C'est là où je m'éclate, où on n'est pas filmé, où on dit ce qu'on veut. On est en prise directe avec le public pendant 1h30. C'est vraiment chouette. J'adore la radio, mais ce n'est pas la même chose.».

Clément Dormal

Anne Roumanoff se produira le 2 avril à 20h30 au Lotto Mons Expo dans le cadre du LOL² Festival.