[Interview] Un divan à Tunis : la comédie psy de Golshifteh Farahani

L'une est un poids lourd du cinéma d'auteur aperçu chez Jim Jarmush (‘Paterson'), et l'autre se lance dans sa première réalisation, une comédie sur une psy cherchant à ouvrir un cabinet à Tunis. Au-delà du talent, Golshifteh Farahani et Manele Labidi s'accordent à merveille pour parler de chocs culturels. Metro les a rencontrées au dernier festival de Venise.
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

Le film parle de la division culturelle entre la France et la Tunisie…

Manele Labidi: «Ce n'est pas un film d'opposition. C'est la rencontre de deux univers: celui de Selma, qui débarque de Paris pour ouvrir un cabinet de psychothérapie, et celui de sa famille, qui a toujours vécu à Tunis. Au début, on pense qu'elle va finir seule contre tous. Et puis tout le monde se pointe chez elle pour des séances d'analyse. L'idée est de montrer qu'on est certes différents, mais qu'on a les mêmes problèmes.»

On parle de préjugés aussi…

ML: «Selma pense arriver pour aider tout le monde mais se retrouve confrontée à sa prétention de Parisienne. Elle se croit en terrain conquis et veut ouvrir un cabinet sans autorisation. C'est arrogant. C'est ce que l'Occident renvoie souvent aux pays dits 'en développement'. On se dit qu'ils ont besoin de nous, mais non… ils ne nous ont pas attendus pour vivre. C'est pour ça que la coiffeuse la traite de crâneuse post-coloniale.»

Golshifteh, le thème du choc culturel vous a parlé?

Golshifteh Farahani: «J'ai joué en persan, en arabe, en français, en anglais… en hindi même! Et deux autres dont je ne me souviens plus (rires). J'espère que le résultat est là car c'est terrible comme exercice. On dirait un écrivain qui écrit un jour avec de l'encre et le lendemain avec du charbon. Et je ne rêve plus en persan mais en français… ou dans des langues que je ne comprends même pas. C'est très freudien en fait (rires)!»

Vous saviez dès le début qu'il s'agirait d'une comédie?

ML: «La comédie, c'est un moyen d'un peu baisser la garde des gens, pour que derrière on puisse faire passer toute l'ambiguïté des personnages. Et puis moi, quand je vais en Tunisie, je ris et je pleure en même temps.»

Vous connaissiez la Tunisie avant le tournage?

GF: «Un tout petit peu. Ce que j'ai vite remarqué, c'est que tout le monde là-bas est un personnage. Si tu te balades dans la rue et qu'il y a 100 personnes autour de toi, chacune mérite le coup d'œil! Leur façon de s'habiller, de marcher… C'est drôle et doux à la fois.»

Le film parle également de la jeunesse.

GF: «Vous pensez à la cousine de Selma qui se marie avec un homosexuel pour qu'on lui foute la paix? Cette actrice est géniale! Elle a 17 ans et c'était son premier film. Elle incarne le pan de la société tunisienne qui veut quitter le pays.»

ML: «La réalité, c'est que si on vient de la classe moyenne, on peut vite se sentir oppressé et étouffer. Alors que Selma représente une autre forme de jeunesse, descendant d'exilés, qui pense qu'il y a quelque chose à réparer et reconstruire. C'est un joli duo.»

Stanislas Ide

Notre critique de "Un divan à Tunis"

Qu'emportez-vous dans votre valise quand vous rendez visite à votre famille? Pour Selma, c'est son diplôme de psychologie! Bien décidée à déménager de Paris à Tunis, elle veut y retrouver ses proches, et surtout ouvrir un cabinet en pleine ville. Le petit hic, c'est que les Tunisiens sont peu habitués à s'allonger sur le divan… mais qu'est-ce qu'ils aiment papoter! Pour son premier film, Manele Labidi signe une comédie sans prétention jouant allégrement avec les clichés sur les Tunisiens. Le charme repose entièrement sur sa confrontation entre la culture occidentale, incarnée par Selma la thérapeute, et la galerie de clichés sur pattes qui défile devant elle: la coiffeuse je-sais-tout, la famille mêle-tout, la fonctionnaire blasée… Un mécanisme un peu facile mais bien huilé, et servi avec une tendresse évidente. Ajoutez-y une cascade de références pop et quelques clins d'œil à Woody Allen, et vous obtenez un divertissement un peu plan-plan mais bien charmant. (si) 3/5