Corneliu Porumboiu : « Il y a plus de corruption dans mon film que dans mon pays… enfin j'espère ! »

Il fait partie des représentants de la Nouvelle Vague du cinéma roumain, celle qui ravit les festivals depuis une quinzaine d'années. Mais pour son dernier film ‘Les Siffleurs', le cinéaste Corneliu Porumboiu fonce tête baissée dans le divertissement, à mi-chemin entre le polar et la comédie. Rencontre sous le soleil de Cannes, où il était en compétition.
par
ThomasW
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Tout votre film est basé sur un langage sifflé utilisé par des malfrats pour communiquer à distance. Comment l'avez-vous inventé?

Corneliu Porumboiu: «Je sais que c'est fou mais ce langage est bien réel! Il y a dix ans, j'ai vu un reportage sur ce moyen de communication. J'y ai directement vu un langage secret. Je trouvais ça drôle d'inviter ce type de communication ancestrale dans un monde où la technologie a pris tant de place. Il y a une certaine poésie visuelle dans ces conversations marquées par la distance. Et puis sur le tournage est apparu son intérêt sonore. C'est joli en fait. Il n'a pas fallu longtemps pour que les acteurs se fassent des blagues en sifflant.»

Votre film parle de flics corrompus, comme pas mal d'autres films roumains. Ça va si mal que ça chez vous?

«Je ne sais pas, je ne pense pas… Je ne l'espère pas en tout cas (rires)! Mais le cinéma a besoin de drame. En fait je suis parti du personnage d'un de mes films précédents appelé 'Policier, Adjectif'. Un flic hyper malin, déjà joué par l'acteur Vlad Ivanov. Je me suis demandé ce qu'il serait devenu dix ans plus tard, après une crise de la cinquantaine. Il ne croit plus en rien, et ça change tout. Le film est basé sur la question de son intégrité.»

La plupart de vos films partent de faits réels. C'est le cas ici?

«Non, c'est une fiction totale. Et je me suis autorisé à prendre beaucoup de liberté pour composer. J'avais envie d'apprendre. Par exemple, il y a cinq ans, j'aurais juré que jamais je n'utiliserais de flashbacks dans mes scénarios. Mais avec ce langage sifflé comme fil rouge, je trouvais ça intéressant de voir les personnages obligés de l'apprendre pour une raison, et finir par en avoir besoin pour une autre.»

Vous nous aviez habitués à des films moins comiques.

«Je pense que j'essaie de me remettre en question à travers chacun de mes films. Je ne veux pas me répéter. Le premier montage durait 30 minutes de plus que celui que vous avez vu. Il s'agissait surtout de dialogues comiques qui marchaient très bien mais qui affaiblissaient la tension de l'intrigue. Et puis j'ai aussi pris plaisir à styliser la mise en scène pour appuyer la fonction de fable. Je suppose qu'il y a quand même des ponts avec le reste de ma filmographie.»

Vous multipliez les références à d'autres films. Vous en regardez beaucoup?

«Oui! Ça dépend des jours mais disons que j'aime la Nouvelle Vague française de Godard et Rohmer, et les films noirs comme 'Le Faucon maltais' ou 'Le Troisième homme'. En tant que cinéaste, je me dois de voir beaucoup de films. Car je peux apprendre quelque chose de chacun d'entre eux, quel qu'en soit le genre. Comme le disait Borges: 'Même le pire des poètes doit avoir quelques vers de génie'. Au bout du compte, faire des films est mon boulot, et je dois continuellement chercher ce qui me plaît. Une scène, un plan, telle lumière, tel jeu… Ça peut être un détail, mais on peut en tirer tellement au passage.»

Le cinéma roumain a le vent en poupe ces temps-ci.

«Oui, la fameuse 'Nouvelle Vague roumaine'… Je crois qu'il n'y a pas vraiment d'explication. Quelques gars ont fait de bons films au même moment, et voilà. Il n'y a pas de potion magique dans l'eau de Bucarest. Et puis il y a eu des films roumains à Cannes trois ans d'affilée, et ça a généré un intérêt spécifique. Comme on se connaît entre réalisateurs et qu'on parle ensemble, ça a cimenté l'idée d'un mouvement. D'ailleurs je parle presque tous les jours avec Cristian Mungiu (lauréat de la Palme d'Or à Cannes en 2007 pour ‘4 Mois, 3 semaines, 2 jours'). Nos enfants vont à la même école (rires).»

Stanislas Ide

Notre critique des Siffleurs

Quelle serait votre arme secrète pour monter une évasion? Pour Cristi, un flic corrompu fraîchement débarqué aux Îles Canaries, ce sera le sifflement! Ou plus précisément un drôle de dialecte local qui lui est enseigné par la belle Gilda pour aider un truand à s'évader. Le tout avec un gros pactole à la clef. Après avoir installé son nom grâce à ses films teintés d'ironie et d'absurdité, le cinéaste roumain Corneliu Porumboiu change de disque avec un septième long-métrage rythmé et particulièrement divertissant. Avec une aisance déconcertante, Porumboiu combine le ton léger d'un polar humoristique avec une métaphore cérébrale sur le pouvoir trompeur du cinéma. Chansons rock, structure en chapitres à-la-Tarantino et fusillade digne d'un western moderne, tout se marie parfaitement dans un bain d'intrigues, de vacheries et de sang. Bon, on regrette un peu que l'histoire d'amour improbable entre le vieux flic et sa belle arnaqueuse sente le fantasme ringard. Mais devant tant de maîtrise, on échange volontiers les sifflements pour des applaudissements. (si) 3/5