Rencontre avec César Diaz qui représente la Belgique aux Oscars avec Nuestras Madres

On ne dirait pas comme ça, parce que le film se passe au Guatemala, mais ‘Nuestras Madres' est bien un film belge. Son réalisateur César Diaz est né de l'autre côté de l'Atlantique, mais il vit depuis 20 ans à Bruxelles. Inspiré de son vécu, le film revient sur le drame de la dictature dans le pays. Remarqué au Festival de Cannes, le film a été présélectionné pour nous représenter aux Oscars. On croise les doigts pour lui!
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

César Diaz, vous êtes originaire du Guatemala. Comment êtes-vous arrivé en Belgique?

César Diaz: «Je suis arrivé car une partie de ma famille est Belge. Au Guatemala, mon père a disparu, et ma mère, qui était une combattante, est partie très tôt vivre au Mexique. Je l'y ai rejointe, et j'y ai vécu jusqu'à la fin de l'adolescence. Quand j'ai commencé à chercher une école pour étudier, ma famille belge m'a proposé de venir ici. C'est comme ça que je suis arrivé, en 1999.»

La première impression quand on arrive en Europe?

«Je me souviens d'une odeur particulière, et d'un grand sentiment de calme. Je trouve qu'au Guatemala, au Mexique, en Amérique Latine en général, on est vite bouleversé par la réalité. Une réalité dure, forte, qui t'oblige tout le temps à faire des choix. En Belgique j'ai trouvé quelque chose de très apaisant, et ça m'a fait beaucoup de bien.»

Votre film suit un jeune homme sur les traces de son père disparu. Comment amène-t-on la fiction dans une histoire qui au départ est très personnelle, puisqu'elle s'inspire de la vôtre?

«C'est la fiction qui te donne la distance. Pour créer un monde, du conflit, tu as besoin de la fiction. Il faut que ces gens-là, ce ne soit pas toi. Sinon tu ne fais que te raconter toi-même, et là, mieux vaut aller chez un psy, ça coûte moins cher (rires)!»

Comment vous avez créé ce monde?

«J'avais envie d'explorer la relation mère-fils. Au fond tout le film est construit pour arriver à cette plage, c'est la première scène que j'ai écrite. Comment ces deux-là vont pouvoir se parler? J'ai bâti tout le reste à partir de là.»

Mais le film n'est pas que de la fiction.

«Non. La scène où des vieilles femmes racontent ce qui leur est arrivé (durant la dictature, NDLR), ce sont des histoires vraies.»

D'ailleurs vous avez fait du documentaire…

«Oui. Quelqu'un m'a dit ‘Ah t'as fait un vrai film maintenant!' Mais le documentaire, c'est aussi du cinéma!»

Pourquoi ce titre, ‘Nuestras Madres' (‘Nos Mères', NDLR)?

«Parce que ce sont elles qui sont toujours là, à réclamer justice, chercher les disparus, bâtir le tissu social. Au bout d'un moment, le personnage d'Ernesto finit par avoir lui aussi cette ouverture, en parlant avec sa mère. J'espère que ça fait partie du chemin pour questionner certaines visions de la masculinité. Mais de mon expérience, c'est elles qui gardent ça. De celles qui donnent à bouffer aux migrants sur la route des États-Unis, aux jeunes filles qui se battent pour le climat…»

On connaît les Mères de la place de Mai qui réclament justice pour les morts de la dictature argentine, on connaît l'actualité du Chili… Les 250.000 morts au Guatemala, c'est une tragédie moins connue en Europe…

«Je pense hélas que c'est simplement parce que c'étaient des Indiens. L'Argentine et le Chili sont des pays encore contrôlés par les métis et les Blancs. Désolé d'être lapidaire, mais à partir du moment où un mort ne vaut pas un autre, il y a un fond de racisme. La question n'est pas de comparer les tragédies, mais de questionner cette façon de voir le monde, dans lequel les Indiens guatémaltèques ne font pas partie de l'imaginaire collectif. Ils sont ailleurs, et on s'en fout.»

Elli Mastorou

Notre critique de ‘Nuestras Madres'

Ernesto n'a jamais connu son père. Au Guatemala, ils sont nombreux comme lui: dans les années 80, la dictature militaire a décimé une génération entière. Trente ans après, le pays panse tant bien que mal ses plaies via le procès des responsables, où les survivants sont appelés à témoigner. À l'institut médico-légal, Ernesto aide à identifier les disparus à partir d'ossements retrouvés. Un jour, recueillant le témoignage d'une vieille rescapée, un détail va le bouleverser. Persuadé d'avoir trouvé une trace de son père, le jeune homme s'embarque dans une enquête intense, pour laquelle il n'a pas forcément la bonne distance… De la distance, César Diaz en a pris pour raconter cette histoire qui le concerne aussi. C'est depuis la Belgique, terre adoptive, qu'il a construit ce film entre documentaire et fiction. À la fois frontal et pudique dans ses choix de mise en scène, ‘Nuestras Madres' va à l'essentiel, tant par ses dialogues que sa courte durée. L'émotion naît dans les interstices de cette sobriété. Mais aussi dans la relation entre le héros et sa mère. Une figure maternelle porteuse d'espoir et de résistance, en écho à toutes celles avant, et après elle.(em) 3/5