[Interview] Jean Dujardin à la poursuite de la vérité dans "J'accuse"

Parti de comédies 100% frenchy (‘Brice de Nice', ‘OSS 117'), le talent comique de Jean Dujardin l'a mené jusqu'aux Oscars, avec la statuette du meilleur acteur pour ‘The Artist' (il est le premier acteur français à l'avoir remportée). Mais pour une fois, il n'est pas là pour rigoler. Dans ‘J'accuse' de Roman Polanski, qui revient sur le scandale de l'affaire Dreyfus, il campe un commandant de l'armée française qui, malgré lui, va découvrir la vérité. Sauf que personne ne veut l'entendre…
par
ThomasW
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‘Un gars une fille' ‘Brice de Nice' ‘OSS117', ‘The Artist': on vous connaît surtout pour vos rôles en comédie, Ici pour la première fois, vous faites un film historique, politique…

Jean Dujardin: «La comédie, c'est plus simple, pour commencer. C'est comme mettre un masque, qui ne vous ressemble pas, pour pouvoir se cacher derrière. Mais à un moment, on décide d'en montrer davantage. C'est vrai qu'aujourd'hui je me déshabille de plus en plus. À 47 ans, j'ai de moins en moins envie de me planquer derrière un masque. Ça me permet de jouer sur d'autres cordes, plus sensibles. J'ai aussi des zones d'ombre, et je m'en sers dans ma vie, comme au cinéma.»

À 47 ans, vous vous sentiez mature pour un film comme ça?

«(Rire) Mature je ne sais pas, en tout cas je me sentais apte. Je prends parfois des projets qui me font peur, et celui-là était assez… redoutable! Mais l'affaire Dreyfus est une grande histoire que finalement, on ne connaît pas. Roman (Polanski) en parlait bien, et je me sentais prêt.»

Vous n'aviez pas de réticence à jouer sous la direction de Roman Polanski?

«Si vous faites référence à l'homme, c'est autre chose. Si vous faites référence au metteur en scène, non je n'avais aucune réticence. Mais, je ne parlerai que de l'affaire Dreyfus. Je ne suis pas là pour parler de l'affaire Polanski.»

Vous faites donc la séparation entre l'homme et l'artiste?

«Écoutez, il me semble que j'ai séparé l'artiste de l'œuvre, je suppose, je n'en sais rien.»

Selon vous, le climat de la France de l'époque ressemble au climat actuel?

«La France de 1900, c'est une époque bourgeoise, catholique. Quand la judéité entre dans la société, ça leur pose un problème. Quand une société ne va pas bien, il y a ce besoin de trouver un bouc émissaire, d'avoir une hystérie collective sur tout, pour tout. Encore plus maintenant avec les réseaux sociaux. Donc il y a forcément de l'écho avec l'époque. Aujourd'hui on dit que ça ressemble aux années 30. Il suffit d'entendre les bruits de bottes en Europe.»

Votre personnage, le commandant Picquart, est d'ailleurs est lui-même antisémite…

«Ce n'est pas un antisémite militant, mais il est antisémite de culture, oui, comme c'était quasiment la norme à l'époque. Mais le fait est qu'il tire un bout de laine, d'abord en y allant doucement, et il réalise que c'est trop gros. C'est inacceptable. Ça entre en conflit avec les valeurs que l'armée lui-même lui a inculquées.»

Vous avez dit que Polanski sur un plateau est 'ouvert aux propositions des acteurs, plutôt comme les Anglo-Saxons.' Contrairement à la France?

«Pas systématiquement, mais il y a des metteurs en scène qui sont parfois trop dirigistes. Au fond je pense que c'est souvent une question d'ego. Il y a une envie de hiérarchie: je suis le metteur en scène, tu es mon acteur. J'entends souvent: ‘Fais mon film, tu vas voir, je vais te révéler', toutes ces conneries. Personnellement je pense que la bonne méthode passe par un travail en commun, une volonté de trouver la scène ensemble. Dans ‘Le Loup de Wall Street' j'ai une scène avec DiCaprio où je joue un banquier suisse. Au tournage, je lui dis: ‘J'aimerais bien te regarder comme une femme'. Il me répond: ‘Propose-le à Martin Scorsese, tu vas voir'. Et il a adoré. ‘Toi l'acteur, si tu proposes, c'est que tu as vu quelque chose que je n'ai pas forcément vu. C'est sûrement une bonne idée, on va essayer'. On est d'abord dans cette idée-là.»

Pour votre prochain tournage alors, retour à la comédie?

«Oui, pour le troisième ‘OSS 117', dans 15 jours, au Kenya. C'est cool, je me prépare. J'apprends mon texte très scolairement, comme pour chaque film: je m'isole dans mon bureau, je mets de la musique, et je joue le film en entier, à voix haute. Bla, bla bla… Tout un film comme ça, ce n'est pas drôle à faire! Mais je le fais toujours, parce que je sais que sur le plateau, je vais être en place. Aucune trouille, même les jours de fatigue: mon texte est là, je serai solide.»

Elli Mastorou

Notre critique de "J'accuse"

L'affaire Dreyfus, tout le monde la connaît sans la connaître vraiment. L'histoire de ce capitaine de l'armée juif accusé de haute trahison a profondément divisé la France du 19e siècle. Mais le héros de ‘J'Accuse' n'est pas Alfred Dreyfus: son procès se termine quand le film commence. C'est le commandant Picquart, incarné par Jean Dujardin, qui est au centre de l'histoire. Découvrant par hasard une preuve irréfutable de l'innocence de Dreyfus, cet homme pétri de principes va se heurter à une hiérarchie embarrassée et refusant de se remettre en question. Fasciné pour l'exploration du mal sous toutes ses formes, Polanski (‘Le Pianiste', ‘Tess') déploie ici un thriller politique efficace et austère, et où défilent, moustachus, quasi-tous les hommes du cinéma français (Amalric, Poupaud, Garrel, Podalydès, Gadebois). La mise en scène classique sert d'écrin à leurs performances solides, et Dujardin, habitué aux rires, change de registre avec éclat. S'il n'est pas question ici de juger l'homme, accusé par de viol sur mineure par cinq femmes (une nouvelle accusation date de la semaine dernière), il est indéniable que sa dernière œuvre, dans laquelle une vérité qui dérange est muselée par un système rigide, fait écho à des enjeux très actuels de discrimination. Ceux de l'antisémitisme, de l'islamophobie, ou des femmes face à leurs agresseurs.(em) 3/5