Le long périple des insectes migrateurs

Beaucoup d'espèces animales migrent. Le phénomène est bien connu chez les oiseaux, les poissons ou certains mammifères. Il l'est moins dans le cas des insectes, qui représentent pourtant le groupe le plus important de migrateurs terrestres.
par
ThomasW
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La plupart des espèces animales sont mobiles et leurs déplacements vont de quelques centimètres à plusieurs milliers de kilomètres. Des exemples bien connus sont ceux des oiseaux qui regagnent chaque printemps leur zone de nidification, ou des saumons atlantiques qui rejoignent leur rivière de naissance. Dans le cas des insectes, le phénomène est plus complexe et plus varié. Souvent, la migration se définit plus comme une « dispersion » saisonnière, certains individus quittant leur zone d'émergence au sud pour occuper, pendant l'été, des sites plus au nord, d'où ils disparaîtront l'hiver revenu.

Dispersion, migration verticale ou allers-retours

Le sympétrum à nervures rouges, une libellule, est l'une de ces espèces dont la dispersion est provoquée par des conditions environnementales encore mal connues. Des observations, effectuées sur une dizaine de cols alpins, montrent que la migration, irrégulière, peut concerner plusieurs millions d'individus.

Certaines espèces de pucerons, quant à elles, ne migrent pas dans une direction déterminée mais changent de plante hôte au cours de leur cycle de vie : la reproduction a lieu sur une espèce, les individus migrant vers d'autres plantes au cours de la belle saison. La migration peut aussi être « verticale ». En montagne, certains papillons rejoignent l'été les zones d'altitude avant de redescendre pondre leurs oeufs dans les vallées.

Quelques espèces effectuent pourtant des migrations allers-retours. Mais, à la différence des oiseaux, ces mouvements concernent les lignées : des individus nés au sud migrent vers le nord puis laissent le soin à leurs descendants de regagner leur région d'origine. Ces migrations, dont les papillons sont les représentants les plus connus, impliquent souvent plusieurs générations pour compléter un cycle annuel. Dans le cas de la belle-dame, jusqu'à huit générations peuvent être impliquées dans la migration entre l'Afrique et l'Europe. Outre-Atlantique, le plus célèbre est le monarque. Des millions d'individus se déplacent vers le Mexique (d'août à octobre), puis vers le nord (jusqu'au Canada) au printemps.

Déplacement en groupe

On reconnaît un papillon en migration à son vol rapide. Il ne s'intéresse pas aux nectars floraux et se déplace dans une direction bien établie. Il a tendance à survoler les obstacles (haies, habitations) plutôt qu'à les contourner. En migration, les papillons se déplacent en groupe : deux ou trois volent ensemble, suivis après quelques seconds par d'autres groupes qui suivent la même route. Dans certains couloirs de migration privilégiés (côte Atlantique et vallée du Rhône), plusieurs milliers de papillons peuvent ainsi se succéder pendant plusieurs heures.

Reste un grand défi pour des animaux pesant souvent moins d'un gramme : le vent. Selon sa direction, il peut être une aide essentielle ou un obstacle insurmontable. Deux stratégies sont alors employées : le vol en altitude ou au niveau du sol. Ce dernier offre une protection efficace. Le vol de haute altitude, lui, permet de parcourir de longues distances en profitant des vents forts. Le gamma utilise cette technique : il peut voler à 250 m d'altitude et, dans des conditions idéales, parcourir une centaine de kilomètres en une heure. Si les conditions sont mauvaises, il interrompt son voyage et attend que le vent tourne.

Un fort impact sur les écosystèmes

Une étude de 2019 publiée par des chercheurs anglais montre que les migrations d'insectes à l'intérieur du pays ou vers/depuis le continent représentent un déplacement considérable de biomasse impliquant de dix à vingt-cinq milliards d'individus, soit de trois cents à mille tonnes d'insectes migrant dans un sens et dans l'autre. 70 % d'entre eux sont réputés auxiliaires de l'agriculture. Le cas des syrphes est particulièrement éloquent. Dans un contexte d'effondrement des populations locales de pollinisateurs (abeilles, papillons), ils pourraient jouer un rôle croissant dans le maintien des équilibres agroécologiques : ils sont des pollinisateurs importants, ils représentent une conséquente source de nourriture pour les insectivores, et leurs larves consomment une grande quantité de pucerons. L'étude des migrations d'insectes réservent encore bien des surprises.

Cet article est extrait d'un dossier du magazine Natagora, distribué aux membres de l'association : www.natagora.be/membres