Fabrice Midal : "Plus on dit aux gens ‘soyez zen', plus ils seront malheureux"

Dans les librairies, vous trouverez sûrement les livres de Fabrice Midal dans les rayons ‘Bien-être'. Pourtant, s'il y a bien quelque chose que le philosophe déteste, ce sont ces termes ‘feelgood', ‘lâcher prise', ‘zen'… prônés dans les bouquins. Dans ‘Traité de la morale pour triompher des emmerdes», paru aux éditions Flammarion, le philosophe français explique qu'il ne faut pas lâcher prise. Au contraire, il faut faire face aux difficultés. Avec lui, on envoie valser les conseils du genre ‘restez zen à tout prix'. Et c'est une des raisons pour laquelle, selon nous, son livre mérite une place d'honneur dans nos pages ‘feelgood'!
par
Maite
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Votre livre part d'un constat: «la vie est mouvement et le mouvement nous contrarie». C'est un sentiment que l'on ressentirait d'office?

«C'est formidable comme point de départ à notre entretien. Il est vrai que la vie est toujours en mouvement. De temps en temps, on l'apprécie. Mais il arrive qu'on le regrette aussi. Ça nous inhibe et ça nous rend extrêmement malheureux. On a tendance à craindre le mouvement que l'on trouve généralement inquiétant. Il faut qu'on contrôle tout. J'invite, dans ce livre, à accepter le mouvement de la vie. Ça nous aide à beaucoup mieux nous débrouiller.»

Beaucoup de gens n'aiment pas les changements, que cela soit aussi bien dans la vie professionnelle que privée.

«Pourtant, le changement est inhérent à l'existence. On a donc que deux solutions: soit on se cabre contre le mouvement, soit on essaie de voir, comme le surfeur, comment on peut agir avec. En écrivant ce livre, j'ai appris que le surf était au départ un art sacré. C'était une manière de savoir si un dirigeant, un chef, pouvait être chef. Le principe était celui-ci: si le chef tentait de contrôler à tout prix la mer, il tombait et s'il lâchait prise, il tombait aussi. Il devait donc accompagner le mouvement de la mer. C'est une très belle métaphore d'une autre manière de vivre. Cela nous montre qu'il ne faut ni contrôler ni lâcher prise. Je ne suis ni dans le feelgood, ni dans le cynisme et la violence. La vraie manière d'être heureux est d'accepter d'être en mouvement, d'être à l'écoute, d'être un lieu de rencontre.»

N'est-ce pas plus facile à dire qu'à faire? Dans la vie de tous les jours, on a tendance à essayer de tout contrôler ou à totalement lâcher prise.

«Oui et non. Prenons l'exemple de mon fils qui me dit qu'il ne veut plus aller à l'école parce qu'il se fait harceler. Il est 9h du matin et j'ai une réunion. Qu'est-ce que je fais? Je peux me cabrer et dire que ça ne rentre pas dans mon plan ou alors, je me dis que la réalité d'aujourd'hui, c'est ce que mon fils me dit. Je laisse tomber ce que j'avais prévu et je vois ce que je fais avec la réalité. Autre exemple: un jour, ma grand-mère veut me préparer mon gâteau préféré mais la porte de son four casse. Qu'a-t-elle fait? Elle a demandé au boulanger s'il ne voulait pas lui cuire son gâteau. Il est impossible de faire un guide de recettes des problèmes de la vie! Et puis, ça ne l'aurait pas aidé car elle se serait dit que jamais elle n'oserait aller déranger quelqu'un. Pourtant, dans la situation, elle l'a fait! Nous avons un ensemble de croyances qui nous empêchent de nous débrouiller. Un des enjeux de mon livre est de libérer les gens de ces croyances qui nous inhibent et qui nous font croire qu'on est impuissant.»

Pour revenir sur l'histoire du petit garçon, la réalité du parent est aussi qu'il doit se rendre à une réunion importante. Beaucoup diront à l'enfant qu'ils en reparleront au soir.

«Oui bien sûr. Peut-être que vous n'allez pas aller à la réunion, peut-être que vous allez confier votre enfant à une tierce personne et régler le problème au soir… Tout dépend de votre situation, de votre histoire, de votre relation. Mais la question est de savoir comment on essaie de se débrouiller avec la situation présente. Il n'y a pas de ‘trucs' car cela se déroule dans le réel. Et le réel, c'est le foutoir, ça ne se passe jamais comme on veut. On doit se débrouiller avec ça.»

Pour vous, il ne faut donc pas éviter les emmerdes mais les affronter.

«Se dire qu'on ne veut pas savoir ne marche pas. On peut se plaindre aussi mais ça n'avance à rien, et on se pourrit la vie. Une manière de ne pas se pourrir la vie est de voir comment on peut se débrouiller dans les situations. Ce que montre l'exemple de ma grand-mère est qu'on a plus de ressources qu'on ne le croit. La vie n'est pas toute rose, c'est comme ça! Dans la vraie vie, il y a des collègues de boulot qui ne foutent rien, il y a des injustices, des violences… C'est ça, la réalité. Il faut arrêter de rêver les yeux ouverts et regarder les emmerdes en face. Là vous y verrez les possibilités de les surmonter.»

Pourtant quand on a des emmerdes, c'est plus fort que nous de trouver ça injuste et dégueulasse, et de parfois faire la politique de l'autruche.

«Vous avez raison: un des grands problèmes est l'idée qu'on ne devrait pas avoir d'emmerdes. On pense que les emmerdes sont une sorte d'attaque du destin contre nous. Tout le monde pense comme ça, même moi. Se plaindre deux minutes, ça va. Après, cela devient un ressassement qui nous enferme dans l'impuissance. On doit se demander ce que l'on peut faire de cette situation, quelle leçon on peut en tirer, et comment on avance.»

Vous ne prônez pas le zen et le calme à tout prix.

«Au contraire! Je suis très opposé à l'idée qu'il faut être zen et calme. Pour moi, c'est une catastrophe. Ça ne marche pas! Je n'ai jamais vu de ma vie quelqu'un qui est calme en toute situation, même les maîtres méditants. Ça nous culpabilise! Plus on dit aux gens qu'ils doivent être zens, plus on les fait culpabiliser car ils ne le seront pas. Cela ne fait que des dégâts. Ils ont l'impression que c'est une faute à leur humanité. Pourtant aucune émotion que l'on ressent n'est une faute. Le malentendu crucial au ‘soyez zen', c'est qu'on nous fait croire qu'avoir des émotions, c'est mal. J'enseigne la méditation depuis plus de 20 ans. Et pourtant, je m'énerve, je suis en colère, je dis non. Avoir des émotions, c'est humain. Ce qui est important, c'est plutôt de voir comment avec nos émotions, on ne crée pas du tort pour moi et pour les autres. Ce qui est un problème, c'est comment j'agis, pas ce que je ressens. Si je suis jaloux, ce n'est pas un problème. Mais cela le devient si je crève les pneus de la voiture de mon voisin ou si je suis violent. On mélange l'action, qui est la morale, de ce que l'on ressent. Un être humain ressent toutes les émotions en une journée, c'est normal. On est jaloux, en colère, on a peur… On voudrait faire de nous des super-héros, des robots déshumanisés. Les gens souffrent car le modèle qu'on leur présente est un modèle déshumanisé.»

Comment atteindre le bonheur, selon vous?

«Plus on dit aux gens ‘soyez zen', plus ils seront malheureux en tout cas! Si vous voulez dire à quelqu'un comment il peut être heureux, il faut lui dire qu'on est heureux parce qu'on prend des risques, parce qu'on est vivant. SI vous voulez être zen en toute situation, par exemple, ne faites pas d'enfants car vous ne le serez plus jamais. C'est insensé, ça rend heureux d'avoir un enfant! Ne soyez jamais amoureux, non plus. Être amoureux, c'est juste les emmerdes qui commencent. Tout ça, c'est pourtant la vie et ce qui la rend passionnante.»

Vous n'êtes pas non plus d'accord avec les conseils qui prônent le lâcher prise.

«Quand je suis en colère et qu'on me dit de lâcher prise, ça me met encore plus en colère! Il faut d'abord écouter ma colère, voir ce qu'elle veut dire, il faut que j'aille au bout de mon émotion, que je sente ce qui se passe.»

Essayer d'être zen ne peut pas être quand même une étape au bonheur, tout comme le lâcher prise?

«Il ne faut pas essayer d'être zen mais essayer d'être en harmonie avec ce que l'on ressent. Il faut essayer d'être en paix. Être en paix, ce n'est pas être calme. Ce sont deux choses différentes. Quand la mer est calme, les bateaux n'avancent plus. Le calme, c'est la mort, je ne ressens plus rien. La paix, c'est sentir que je suis triste et être en paix avec cela. Si vous écoutez des morceaux de musique auxquels on a enlevé toutes les notes qui sonnent un peu tristes, il ne reste plus rien.»

Vous expliquez dans votre livre que finalement, les emmerdes nous aident à avancer, à aller sur un chemin vers soi.

«On nous dit, aujourd'hui, qu'on a réussi notre vie que si on est un ‘surhomme' ou une ‘surfemme': si on est une femme parfaite, une mère de famille parfaite, une maîtresse parfaite… C'est ça qui nous tue et nous rend malade. Moi j'écris un livre qui dit qu'il faut être humain pour être heureux. On ne sera pas parfait mais on sera humain. Pour moi, faire la paix avec notre humanité est le vrai bonheur. C'est comme dans le Petit Prince de Saint-Exupéry lorsqu'il demande à la rose comment elle va faire quand il ne sera plus là pour lui mettre un globe autour d'elle. Elle lui répond qu'il faut bien qu'elle connaisse des chenilles si elle veut voir des papillons…»

Vous dites dans votre livre que vous êtes contre les grands principes.

«Oui parce que je suis pour la morale, qui en est le contraire. La morale, c'est: comment on se débrouille dans le réel en regardant la situation. Ce qui est très étrange, c'est qu'on pense que la morale, ce sont des grands principes abstraits qu'on voudrait nous faire suivre aveuglément. Pourtant, ce n'est pas ça! Les grands principes ont une emprise sur les gens tandis que la morale prend en compte la réalité de la situation, l'action, comment on se débrouille. C'est libérateur de savoir ça. On ne fera jamais les choses parfaitement. Mais on les fera du mieux que l'on peut. La perfection n'est pas de ce monde. Vouloir être parfait, c'est tuer quelque chose de la vie qui est en nous.»

Ph. Flammarion / F. Midal

Vous ne prônez pas non plus la bienveillance.

«J'étais pour il y a 10 ans. Mais aujourd'hui, je trouve que la bienveillance est devenue une manière d'éviter de parler des conflits. Dans la vie, il y a des conflits. Dans les couples, il y a des crises qui sont nécessaires. Ce sont des moments où l'on est obligé de se parler, de reformuler les choses. C'est pour ça que mon livre finit sur la révolte. Je pense qu'on ne peut pas être heureux si on n'est pas révolté. J'ai l'impression que les gens qui écrivent les livres sur le bien-être ne vivent pas dans le monde dans lequel je vis, ne savent pas ce que c'est que d'avoir des emmerdes au boulot!»

Pour vous, il est aussi important de prendre soin de soi physiquement. Vous intitulez un de vos chapitres: ‘Va chez le coiffeur!'

«Aujourd'hui encore, nous pensons que prendre soin de son corps est futile et superficiel. Ce n'est pas vrai. Quand certains vont chez le coiffeur, ils ont, après, plus le courage de faire certaines choses. Ça les aide à retrouver de la force.»

C'est en allant chez le coiffeur qu'on peut trouver le bonheur, alors?

«On ne trouve pas le bonheur dans les choses abstraites et dans la zen attitude mais quand on est à l'écoute du réel. Et si vous sentez qu'aller chez le coiffeur, cela va vous aider à vous sentir mieux, faites-le alors! Pour quelqu'un d'autre, ça sera peut-être autre chose. Il faut savoir ce qui est juste pour nous. Il faut écouter ce qui favorise la vie en nous.»