Qu'est ce que l'umami, cette mystérieuse saveur ?

Le goût, ce sens si simple et complexe à la fois. Nous avons tous appris à l'école qu'il reposait sur quatre saveurs: sucré, salé, acide et amer. Mais depuis quelques années, un mot étrange revient régulièrement dans la bouche des gastronomes et autres foodies: l'umami.
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

Au début du 19e siècle, Jean Anthelme Brillat-Savarin, le premier grand auteur culinaire, évoquait déjà une cinquième voie, un arôme nouveau, qu'il baptisa «osmazôme» dans son ouvrage «La Physiologie du goût». En 1908, cette nouvelle saveur est identifiée par un professeur japonais, Kikunae Ikeda. Cette découverte, dont le goût correspond à celui du monoglutamate de sodium, n'a pas réellement franchi les frontières de l‘archipel nippon, et il a fallu attendre le début des années 2000 pour que l'on s'y intéresse de plus près. Une étude américaine a en effet confirmé la véracité de cette sapidité en modélisant le fonctionnement chimique de l'umami (prononcez ‘oumami').

«Tout ce qui est bon»

Contraction de «umai» (délicieux) et «mi» (goût), ce mot peut donc se traduire littéralement par «goût savoureux». «C'est le goût de tout ce qui est bon», avait résumé l'auteur de livres de cuisine Chihiro Masui dans L'Express. «C'est quelque chose de très appétant, très rond, légèrement salin, qui donne envie d'y revenir», ajoutait dans ce même magazine le chef Alexandre Bourdas.

Une viande grillée, des fruits de mer, un maki sauce soja, un risotto à la truffe, du parmesan, des tomates bien mûres… Voilà qui est très umami! Une sorte d'«après-goût» qui donne la sensation d'avoir bien mangé. D'où l'attrait prononcé que l'on a pour un bon ‘spagh-bol'. De bonnes tomates qui ont cuit longtemps, une viande préalablement poêlée, et une dose de parmesan, quoi de plus ‘umamesque'?

Les industriels sont sur le coup

En 1908, Kikunae Ikeda expliquait au Washington Post: «Il existe une saveur commune à l'asperge, à la tomate, aux fromages et à la viande, et qui est différente des quatre principales saveurs» dont il a isolé dans des acides aminés: les glutamates. Mais il a fallu attendre presqu'un an pour que l'on découvre le récepteur spécifique pour cette substance dans la langue. Les industriels ont rapidement compris l'attrait d'une telle «saveur délicieuse» en multipliant les doses de cet «exhausteur de goût», codé E621, dans leurs préparations pas toujours très relevées. Il existe même une chaîne de fast-food, aux États-Unis, qui s'est emparé du phénomène: Umami Burger.

Un indicateur de bonne santé

L'umami, c'est donc une jouissance culinaire, pour autant que cela soit sans additif ni contrefaçon. C'est même une saveur importante pour notre santé. D'après une étude récente de chercheurs japonais, perdre le goût de l'umami avec l'âge pourrait être un signe d'un mauvais état de santé général. «La saveur de l'umami favorise la sécrétion salivaire et la salive influence fortement des fonctions orales telles que la perception des saveurs. Donc, la saveur ‘umami' semble jouer un rôle important dans le maintien de la santé générale», a expliqué le professeur Takashi Sasano.

Si cette saveur est indissociable de la cuisine nippone, le Japon n'en a pas pour autant l'exclusivité. «Cette saveur existe dans toutes les civilisations», ajoute Chihiro Masui, «même si le mot pour la définir n'est pas traduit dans les langues occidentales.»

Oui mais qu'est-ce qui est umami ?

En fait, on mange de l'umami sans nous en rendre compte. Au Japon, on en trouve la quintessence dans le délicat bouillon dashi ou dans le thé gyokura. Mais on le trouve également dans le ketchup, les tomates mûres, le parmesan, le roquefort (en fait, les fromages affinés), le jambon cru comme la pata negra, certaines algues, des produits fermentés, le thé vert, les asperges, la charcuterie, les oignons, la truffe, la sauce soja, les anchois, les poissons gras, les bouillons de viande, les champignons séchés, les crustacés, etc. Techniquement, son secret tient en trois acides aminés: glutamique, guanylique et inosinique qui sont très présents dans les aliments fumés, affinés ou fermentés, dans certaines viandes, des légumes, poissons, etc.

Une cuisine umami

Et marier des aliments ‘umami' décuplerait même le plaisir. Le chef étoilé du SaQuaNa à Honfleur, Alexandre Bourdas, lui a même consacré un ouvrage. Il explique: «L'umami, c'est tout ce qui est gourmand et sapide, avec cette sensation de plaisir en bouche qui donne envie d'y revenir.» Il propose dès lors des recettes «umamissimes», comme une brioche de seigle sur laquelle on dépose des sardines grillées, des algues nori, une pointe de sauce soja, du roquefort et des épinards. Mais cela peut être bien plus simple: des pommes de terre rissolées dans du gras de porc, des gnocchis anchois-tomates ou juste des légumes bien mûres.

En 1825, Brillat-Savarin définissait ce goût comme «celui de nos sens qui nous met en relation avec les corps sapides, au moyen de la sensation qu'ils causent dans l'organe destiné à les apprécier.» Il avait décidément déjà tout compris.

Pierre Jacobs