Des élus américains veulent indemniser les descendants d'esclaves

À défaut de refaire l'histoire de l'Amérique, des candidats démocrates à la présidentielle veulent réparer ses injustices en indemnisant les descendants d'esclaves, mais la question reste sensible dans un pays marqué par les inégalités raciales.
par
Clement
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En janvier 1865, quelques mois avant la fin de la guerre de Sécession et l'abolition de l'esclavage, le gouvernement d'Abraham Lincoln avait promis d'octroyer «40 acres et une mule» aux quelque quatre millions d'esclaves noirs pour démarrer leur nouvelle vie d'hommes libres. Sa parole n'a toutefois pas été respectée et les lopins de terre, équivalents à 16 hectares, ont été rapidement rendus aux anciens propriétaires.

La question, qui n'était pas une priorité ces dernières années, a refait surface chez les démocrates dans la course à l'élection de 2020. «L'Amérique a été fondée sur le principe de la liberté et sur le dos des esclaves», a ainsi affirmé la sénatrice Elizabeth Warren, en campagne dans le Mississippi. «C'est une tache sur l'Amérique», a-t-elle ajouté dans cet État du sud profond dont l'histoire est marquée par les discriminations raciales, appelant à ouvrir «un véritable débat national sur les compensations». L'élue progressiste soutient un projet de loi visant à nommer un groupe d'experts pour étudier la question des indemnisations et proposer des solutions. Le texte est régulièrement présenté au Congrès depuis 30 ans, mais n'a jamais été mis au vote.

L'ancien maire de la ville texane de San Antonio, Julian Castro, qui espère devenir le premier président hispanique des États-Unis, admet que la question suscite «des désaccords profonds». «Si, selon la Constitution, on indemnise ceux à qui l'on saisit les propriétés, pourquoi ne devrait-on pas indemniser ceux qui étaient la propriété de quelqu'un», s'interroge cependant cet ancien ministre de Barack Obama. D'autres candidats démocrates ont intégré la question dans le débat plus large sur les inégalités raciales et les différences de revenus. En 2017, le revenu médian annuel d'un foyer noir était de 40.258 dollars, contre 68.145 dollars pour un foyer blanc, selon des statistiques officielles.

Cory Booker, sénateur noir du New Jersey, avance l'idée d'un compte en banque bloqué alimenté par l'État pour les enfants des classes défavorisées, qui ne pourraient l'utiliser qu'à 18 ans pour financer un achat immobilier ou des études universitaires. Kamala Harris, la seule femme noire dans la course, veut «étudier les effets de la discrimination et du racisme institutionnel sur plusieurs générations et déterminer comment on peut intervenir pour corriger cela». Marianne Williamson, auteure de livres de développement personnel, propose la mise en place d'un fonds doté de 200 à 500 milliards de dollars. Mais selon plusieurs universitaires, la dette de l'Amérique envers les anciens esclaves se compte en milliards de milliards de dollars.

«Énormes disparités»

Pour le sénateur socialiste Bernie Sanders, la priorité est de s'attaquer «aux énormes disparités qui existent dans notre pays» et «il y a de meilleurs moyens de le faire que de juste faire un chèque». Amy Klobuchar, sénatrice du Minnesota, abonde dans son sens en souhaitant «investir dans les communautés qui ont tant subi le racisme». «Cela ne veut pas dire de payer directement les gens, mais cela signifie une meilleure éducation, des universités publiques avec des cycles courts, un salaire minimum, des crèches», explique-t-elle. Le Texan Beto O'Rourke, étoile montante du parti démocrate, n'a pas réclamé ouvertement des indemnisations, mais souhaite que le pays «affronte la vérité sur le traitement des Noirs».

Les Afro-Américains (13,4% de la population américaine) votent majoritairement démocrate et constitueront un soutien vital pour le ou la candidate qui sera face à Donald Trump en novembre 2020. Selon un sondage CNN/Kaiser datant de 2015, 52% des Noirs soutenaient l'idée d'un indemnisation pour les descendants d'esclaves, tandis que 89% des Américains blancs s'y opposaient. Le concept d'indemnisation est «terrifiant» pour de nombreux Américains, «pas seulement parce qu'on pourrait ne pas avoir la capacité de payer», mais aussi parce que cela «menace quelque chose de plus profond: l'héritage de l'Amérique, son histoire, sa place dans le monde», écrivait en 2014 l'auteur Ta-Nehisi Coates dans le magazine The Atlantic.

Les États-Unis ont déjà indemnisé des communautés pour les injustices subies au cours de l'Histoire, notamment les Amérindiens et les Américano-japonais internés dans des camps pendant la Seconde Guerre mondiale.