Un débat entre grandes puissances sur la paix dans l'espace

A première vue, le moment ne semble guère opportun pour que les grandes puissances militaires négocient un accord sur la prévention de la course aux armements dans l'espace.
par
Marie
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En février, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, affirmait que l'architecture internationale de contrôle des armements "s'effondre", déplorant notamment la décision de Washington et de Moscou de se retirer d'un traité majeur de la Guerre froide sur les armes nucléaires.

Et début mars, le projet de "Force de l'espace" voulue par le président américain Donald Trump a été présenté au Congrès américain pour approbation. Cette force spatiale sera chargée de protéger les intérêts américains dans l'espace, que les Américains considèrent désormais comme un "domaine de combat".

Malgré ces vents contraires, des experts de 25 pays - y compris de la Chine, de la Russie et des États-Unis - vont se réunir, à partir de lundi, pendant dix jours à Genève pour tenter de jeter les bases d'un traité sur la paix spatiale.

En dépit des tensions diplomatiques actuelles, les experts estiment qu'il y a des raisons d'être optimiste.

"J'espère que ce ne sont pas que des vœux pieux, mais je vois des initiatives positives", a déclaré Paul Meyer, ex-ambassadeur du Canada pour le désarmement et expert en sécurité spatiale à la Fondation Simons à Vancouver.

A Genève, la réunion du Groupe d'Experts Gouvernementaux (GGE), fonctionnant sur le mode du consensus et qui se tiendra à huis clos, sera présidée par l'ambassadeur brésilien auprès de la Conférence du Désarmement de l'ONU, Guilherme de Aguiar Patriota.

Pourquoi espérer ?

Les efforts diplomatiques visant à forger un traité sur l'espace sont dans l'impasse depuis plus d'une décennie. Un des principaux problèmes, selon les experts, est que la Chine et la Russie ont jusqu'à présent refusé le déploiement de certains dispositifs dans l'espace, tandis que les pays occidentaux ont préféré mettre l'accent sur les "comportements" ou les "actions" qui devraient être limités dans l'espace.

M. Patriota a expliqué cette semaine aux journalistes à Genève que lors de la première réunion du GGE en août, la Russie et la Chine s'étaient montrées plus ouvertes que dans le passé à de nouvelles idées.

La semaine prochaine, lors de la deuxième et dernière réunion du GGE, les experts tenteront de se mettre d'accord sur une liste d'"éléments" qui pourraient constituer la base d'un traité, a-t-il dit.

L'ambassadeur brésilien a relevé que l'un des facteurs susceptibles de motiver les Etats à aller de l'avant est la notion de "vulnérabilité" dans l'espace.

En dépit de la rhétorique de Donald Trump, qui se vante d'avoir des budgets de défense en constante augmentation, les militaires professionnels comprennent qu'une suprématie écrasante n'est pas suffisante pour protéger les ressources spatiales d'un pays, font valoir les experts.

"Il est très difficile (...) de défendre seul ces biens dans l'espace", a déclaré Jessica West, chef de projet du rapport sur l'indice de sécurité spatiale 2018.

M. Meyer, également ancien chef du bureau du renseignement du ministère des Affaires étrangères du Canada, a indiqué qu'un autre facteur pouvant créer un élan diplomatique est que l'espace "n'est plus considéré comme un club de riches". Des dizaines d'États, dont des pays en développement, disposent maintenant de satellites, a-t-il dit.

La technologie spatiale - qu'elle soit liée à la reconnaissance, à la cartographie ou à la navigation - fait désormais partie intégrante de la vie militaire et civile.

Pour M. Meyer, les gouvernements font maintenant face à une question: "comment les intérêts de la nation sont-ils les mieux servis?". "Est-ce en déclenchant une nouvelle course aux armements dans un environnement vital pour la prospérité globale ou en faisant des efforts pour trouver des arrangements avec certains de vos adversaires potentiels?"

Force spatiale

M. Patriota a admis que la décision prise par le président américain de créer une "Force de l'espace" allait peser sur les débats. Mais jusqu'à présent, la participation des États-Unis a été "constructive", a-t-il dit.

En dépit de la rhétorique "incendiaire" de Donald Trump, cette force spatiale est "en partie une réorganisation bureaucratique" qui regroupera l'ensemble des personnels militaires et civils qui travaillent dans le domaine spatial au sein du Pentagone.

Et, selon les experts, les États-Unis ne font que suivre les exemples de la Chine et de la Russie, qui disposent déjà de départements militaires dédiés à l'espace.

Pour Mme West, "nous atteignons un point de rupture". La réunion de Genève "est peut-être la dernière occasion de prendre du recul et de maintenir l'espace comme une zone exempte de combats, extra-atmosphérique ou une zone exempte de combats directs", a-t-elle affirmé.