‘Vice': le réalisateur Adam McKay tourne la politique américaine en ridicule

Dick Cheney. Tout le monde est d'accord sur le fait que, du temps de George W. Bush, c'était lui qui tirait vraiment les ficelles à la Maison Blanche, même s'il était vice-président. La satire acerbe ‘Vice' entend montrer qui était, en réalité, Dick Cheney. Et cela n'a pas été si facile, raconte le réalisateur Adam McKay.
par
Camille
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Le nom d'Adam McKay ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais il a déjà réalisé plusieurs films à succès. Seulement, il s'agissait en général de comédies populaires avec Will Ferrell, comme ‘Anchorman', ‘Talladega Nights' et ‘Step Brothers' (‘Frangins malgré eux'). Ces dernières années, cependant, les sujets qu'il prend pour cible ont plus de poids. Il y a quatre ans, il s'attaquait à la crise financière de 2008 dans ‘The Big Short', et aujourd'hui, avec ‘Vice' il a choisi une cible d'une autre envergure: l'ancien vice-président des États-Unis Dick Cheney, un homme dont la mission est une menace pour le monde.

Adam McKay: «J'ai toujours eu Cheney dans le collimateur. Je collaborais à l'émission de télé satirique ‘Saturday Night Live' au moment où Bush a déclaré la guerre à l'Irak, et il était clair que Cheney en était l'architecte. Nous le mettions souvent dans nos sketches et le comparions à Dark Vador de ‘Star Wars'. Ce n'est que des années plus tard, quand les choses s'étaient calmées, que j'ai réalisé qu'il y avait un film intéressant à faire. J'avais le sentiment que nous étions sur le point d'oublier tout ce que Cheney avait fabriqué. Je me suis donc mis à lire comme un fou sur sa vie et son travail au sein du gouvernement Bush. Cela n'a pas été facile de dresser un portrait acéré de Cheney, car il préférait travailler dans l'ombre.»

Je peux m'imaginer que pour certaines personnes, ‘Vice' est un film diffamatoire, une attaque personnelle de la gauche. Comment réagissez-vous à cette critique?

«Ce qui est fou, c'est que j'ai déjà entendu aussi la critique contraire. Pour certaines personnes, ‘Vice' est un film diffamatoire, une attaque personnelle de la gauche, d'autres trouvent que je ne vais pas assez loin. Je peux seulement dire que tout ce que je montre dans le film s'est réellement passé. Nous avons tout vérifié quatre fois, nos avocats ont donné leur feu vert pour chaque point, nous avons fait nos recherches de manière minutieuse. Certains éléments semblent invraisemblables et caricaturaux, mais c'est dû au fait que la réalité de ce que Cheney et ses camarades ont fait était tellement flagrant et ridicule.»

Il est vrai que Cheney apparaît encore assez humain dans le film. Je ne m'y attendais pas.

«Je trouvais inutile de raconter l'histoire d'un homme qui, dès le début, est un monstre. Ce n'est pas non plus ce que disaient mes recherches. Dans sa jeunesse, Dick Cheney était un gars tout à fait ordinaire et beaucoup de gens le trouvaient sympathique. Il n'a commencé à se radicaliser qu'à la fin des années 70, et ce processus a explosé avec les attentats du 11 septembre 2001. À ce moment-là, il a saisi l'opportunité de réaliser ses rêves les plus fous.»

Quelle était l'importance de sa femme Lynne? Était-elle sa Lady Macbeth, comme vous la dépeignez pour ainsi dire dans le film?

«Elle a eu une énorme influence sur lui. Cela ne fait aucun doute. Je pense qu'elle a dû un peu adapter ses plans. Elle voulait qu'ils deviennent tous les deux professeurs d'université, il avait l'ambition de faire carrière à Washington DC. Mais Lynne s'y est sentie, elle aussi, comme un poisson dans l'eau. Je pense qu'elle aurait, sans problème, pu faire elle-même une belle carrière politique. Elle aurait pu devenir sénatrice ou députée. Peut-être même aller plus haut encore. Le problème, c'est qu'elle venait d'un état conservateur, où les rêves de ce genre n'étaient pas autorisés pour une femme. Elle avait besoin d'un mari pour arriver à quelque chose, et elle formait une équipe formidable avec Dick. Lynne Cheney était -et est- une force de la nature.»

Le grand public vous a découvert grâce à des comédies délirantes comme ‘Anchor-man'. Étaient-elles moins superficielles que ne pensent la plupart des gens?

«Il y a certainement une prise de position claire dans ces films. Il ne fait aucun doute que ‘Anchorman' se moque de l'infodivertissement et dénonce le sexisme sur le lieu de travail. ‘Talladega Nights', quant à lui, est un portrait d'un certain type d'Américain que vous trouvez dans le Sud des États-Unis. J'ai toujours essayé de glisser entre les lignes quelque chose de plus consistant à se mettre sous la dent.»

En quelques lignes

Et si la politique américaine n'était qu'une vaste comédie? Deux ans après avoir disséqué Wall Street à la machette dans ‘The Big Short', Adam McKay s'en prend à la Maison-Blanche. Et plus particulièrement à Dick Cheney, le vice-président de George W Bush. ‘Vice' nous montre à quel point cet homme de l'ombre s'est moqué des règles de la présidence (la guerre en Irak, c'était son idée) et définitivement changé notre degré de tolérance envers les élus qui nous gouvernent (Donald, si tu nous lis…). Et mieux vaut en rire qu'en pleurer: flash infos servis par Naomi Watts en journaliste républicaine, fausse fin en plein milieu du film, parodie shakespearienne pour traduire les ambitions du bonhomme… Tout est prévu pour rendre cette descente aux enfers aussi divertissante que possible, et les acteurs s'en donnent à cœur-joie. Christian Bale fait des étincelles dans un rôle pourtant défini par la retenue. Amy Adams (‘American Bluff') épate en épouse dénuée de repères moraux. Et Steve Carell (‘Little Miss Sunshine') est tout simplement jouissif dans le rôle de Donald Rumsfeld. On vous prévient, vous allez adorer les détester.

Ruben Nollet

@rubennollet