Apprécier ce que l'on vit plutôt que de l'immortaliser

Menée par la chercheuse Gia Nardini, une équipe de l'Université de Denver, de l'Université de Washington (St Louis) et de l'Université de Floride, a entrepris des recherches pour déterminer si le fait de photographier les instants mémorables ne conduisait pas en réalité à moins en profiter.
par
Pierre
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Gia Nardini a songé à cette étude en revenant d'un séjour dans une réserve naturelle, après avoir passé plus de temps à immortaliser ses vacances qu'à en profiter.

Les auteurs de l'étude ont conduit cinq tests sur un total de 718 participants. Certains ont été sondés pour savoir si le fait de photographier un moment très appréciable augmentait, faisait décroître ou n'avait aucun effet sur la manière dont ils profitaient des bons moments.

Appréciation moindre

Les résultats, publiés dans la revue Psychology and Marketing, prouvent que réaliser un cliché constitue une distraction qui dénature l'appréciation du moment.

Les participants qui ont regardé une vidéo agréable sans prendre de photos ont bien plus apprécié l'expérience (72,6 sur une échelle de 1 à 100), que ceux qui ont pris des photos (63,8 sur 100). "Nous nous appuyons sur des expériences très agréables, dans lesquelles les personnes se plongent (8 –, 9- ou 10- sur une échelle du plaisir allant de 1 à 10)", explique le co-auteur de l'article, Robyn LeBoeuf.

Plaisir diminué

"Quand on prend des photos, on a tendance à moins prendre de plaisir. Prendre des photos représente une gêne. On se concentre tellement sur la réalisation du cliché que l'on rate l'expérience elle-même", ajoute-t-il.

En revanche, en se penchant sur les déclarations des sondés, les chercheurs ont constaté que pour 51,4% d'entre eux, le fait de prendre des photos n'aurait aucun effet sur leur façon d'apprécier l'instant. Pour 27,9% des sondés, cela augmenterait même le plaisir. Seuls 21,6% des sondés ont déclaré que l'acte de prendre des photos diminuait leur plaisir. "La plupart des personnes pensent que cela ne fait aucune différence. Ce n'est donc certainement pas une évidence pour tout le monde", commente LeBoeuf.

La publication sur les réseaux sociaux semble affecter encore davantage la capacité à profiter des bons moments. L'équipe de chercheurs a remarqué qu'en regardant une vidéo très agréable, 83,7% des participants ont apprécié la vidéo lorsqu'ils s'étaient contentés de la visionner, contre 76,2% chez ceux qui ont pris des photos personnelles et 73,5% chez ceux qui ont pris des photos à publier.

"Il est encore plus difficile d'apprécier l'instant présent lorsque l'on doit penser au fait de devoir publier ses photos sur les réseaux", explique LeBoeuf. En revanche, prendre des photos n'aurait pas de conséquence sur le fait de prendre part à des expériences modérément appréciables.

Une chose à la fois

Les chercheurs ont également observé 99 participants ayant envoyé des textos pendant la visualisation d'une vidéo agréable. Ils ont remarqué que les distractions numériques communes avaient les mêmes effets que la photographie, qui n'est "qu'une manifestation d'une grande variété de comportements […] qui distraient les personnes et diminuent leur propension à savourer les bons moments".

"Nous pourrions conseiller aux personnes d'y réfléchir à deux fois avant de décider si elles souhaitent réellement réaliser ces clichés", conclut LeBoeuf.