Les États membres qui violent la démocratie seront sanctionnés financièrement

Les députés européens ont approuvé jeudi à Strasbourg la proposition de la Commission de conditionner les financements européens au respect des valeurs démocratiques de l'Union et de l'État de droit. Ils doivent maintenant en débattre avec les Etats membres.
par
Laura
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Le vote a été emporté par une majorité de 397 voix pour, 158 contre et 69 abstentions, trahissant les réticences des partis eurosceptiques et europhobes. La nécessité de ce nouvel outil de sanction répond à l'émergence au sein de l'UE de gouvernements illibéraux, populistes ou associant l'extrême droite, accusés de réduire les droits fondamentaux, entraver la justice ou tolérer la fraude et la corruption.

Trois régimes en particulier inquiètent: les gouvernements de la Pologne et de la Hongrie font déjà l'objet d'une procédure (article 7 du Traité de l'UE) qui, théoriquement du moins, pourrait à terme conduire à la suspension de leur droit de vote au Conseil. Quant au gouvernement roumain, qui préside actuellement le Conseil de l'UE, il est sous forte pression pour ses tentatives alléguées de blanchir des hauts responsables condamnés ou soupçonnés de corruption.

Frapper au portefeuille

Mais l'article 7 se révèle être une procédure longue et peu efficace, notamment parce qu'elle nécessite un improbable vote à l'unanimité des autres États membres pour exécuter sa sanction ultime. "Si les critères sont stricts et nombreux pour entrer dans l'Union, une fois qu'un État membre y est, il semble pouvoir agir à sa guise", résume la co-rapportrice espagnole Eider Gardiazabal Rubial (S&D). Pour répondre à cet aveu d'impuissance, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a proposé il y a quelques mois de frapper ces gouvernements au portefeuille, en gelant ou en restreignant leur accès au fonds d'aides de l'Union européenne en cas de "défaillance généralisée" de l'État de droit. "L'Europe, ce sont des droits et des devoirs ! Un État qui ne respecterait pas ses devoirs, comme garantir l'indépendance de la justice, lutter activement contre la fraude et la corruption, devrait potentiellement perdre une partie de ses droits, à savoir les financements européens", soutient Marc Tarabella (PS, S&D).

Les eurodéputés belges ont voté pour, à l'exception de la N-VA qui s'est abstenue, et du Vlaams Belang qui s'y est opposé. Concrètement, la Commission européenne, assistée d'un panel d'experts indépendants, devra établir l'existence de cette "défaillance généralisée" et proposer ensuite des sanctions pouvant aller jusqu'à la réduction du préfinancement ou même la suspension des paiements européens. Ces sanctions devront recevoir le feu vert du Parlement européen - les élus ont amendé le texte en ce sens - et d'une majorité d'autres États membres. Une fois les défaillances corrigées par l'État incriminé, ces mêmes institutions pourront débloquer les fonds.

Filet de sécurité

Le Parlement a en outre ajouté un "filet de sécurité" pour éviter que des bénéficiaires finaux des fonds comme des étudiants, des chercheurs ou des organisations de la société civile ne pâtissent de ces sanctions, a souligné le co-rapporteur finlandais Petri Sarvamaa (PPE). La liste des motifs de sanction n'est pas close, afin de couvrir au besoin les cas imprévisibles, ajoute le commissaire européen au Budget Günther Oettinger. Elle comprend notamment le bon fonctionnement des enquêtes relatives à la fraude (notamment la fraude fiscale), à la corruption, l'indépendance de la justice, la prévention et la pénalisation de l'évasion fiscale et de la concurrence fiscale ou encore la coopération avec le parquet européen, en cours de création.

Vers une adoption de la réglementation

Le groupe d'experts, lui, serait composé de spécialistes en droit constitutionnel et en finances désignés par le parlement de chaque État membre et de cinq experts désignés par le Parlement européen. Il évaluerait chaque année la situation dans tous les États membres et présenterait une synthèse publique de ses conclusions. Les États membres n'ont pas encore adopté leur position sur ce dossier sensible.

Armé de ce vote, le Parlement devra maintenant négocier avec la présidence roumaine de l'UE pour tenter de faire adopter au plus vite la nouvelle réglementation, dont l'entrée en vigueur est attendue pour la prochaine programmation budgétaire (2021-2027). Ce jeudi, les députés ont aussi demandé que l'Union triple (à 1,8 milliard d'euros) le budget 2021-2027 envisagé par la Commission pour promouvoir la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux, notamment en soutenant les organisations de la société civile.