La Déclaration universelle des droits de l'homme fête ses 70 ans

La Déclaration universelle des droits de l'homme, texte fondateur du droit international, fête son 70ème anniversaire, assombri par la montée des nationalismes et les assauts lancés contre les institutions multilatérales.
par
Clement
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Alors que les Nations unies commémorent lundi l'adoption de ce texte novateur, ses objectifs se heurtent à une résistance sans précédent.

La Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a averti cette semaine que le système mondial «qui avait donné corps à la vision de la Déclaration universelle est érodé petit à petit par les gouvernements et les responsables politiques qui se consacrent de plus en plus à des objectifs nationalistes étroits». Certains experts pensent toutefois que, même si le mouvement international pour les droits de l'homme né après la Deuxième guerre mondiale est menacé, cette commémoration pourrait fournir l'occasion à la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) de réaffirmer son utilité.

Inspirée par la déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la déclaration d'indépendance américaine de 1776, la DUDH a pour première origine le traumatisme engendré par la Seconde Guerre mondiale et le génocide des juifs par les Nazis. «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits», proclame le premier article de la déclaration, qui en trente points énumère des droits humains, civils, économiques, sociaux et culturels, «inaliénables» et «indivisibles».

Climat tendu

Elaborée dans un climat de début de Guerre froide, la DUDH fut adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par les 58 Etats alors membres de l'Assemblée générale de l'ONU à l'exception de l'URSS, des pays d'Europe orientale, de l'Arabie saoudite et de l'Afrique du Sud qui s'abstinrent. L'URSS et ses satellites insistaient notamment sur les «droits réels», économiques et sociaux, contre les «droits bourgeois» civils et culturels défendus par les démocraties occidentales. Ces dernières, de leur côté, résistaient à l'idée de traduire la déclaration en instrument juridique contraignant, craignant qu'il ne fût utilisé contre elles par les pays colonisés. De fait, ce n'est qu'en 1966 que furent adoptés par l'ONU deux pactes contraignants qui constituent, avec la DUDH, la charte des droits de l'Homme de l'ONU.

Le texte de 1948 reste, selon le mot du juriste français René Cassin, qui participa à son élaboration, «le premier manifeste que l'humanité organisée ait jamais adopté». Sans valeur contraignante, la DUDH a inspiré tous les traités internationaux de l'après-guerre, et est généralement reconnue comme le fondement du droit international relatif aux droits de l'homme. Les conventions internationales de 1979 contre la discrimination envers les femmes, de 1984 contre la torture, de 1990 sur les droits de l'enfant, la création de la Cour Pénale internationale (CPI) en 1998 découlent directement de la DUDH. Le texte visait à corriger la notion séculaire voulant que les droits soient octroyés aux citoyens par les Etats. Il répondait à l'argument des accusés nazis à Nuremberg selon lequel les responsables d'un Etat souverain agissant pour ce qu'ils considèrent comme l'intérêt national ne peuvent être tenus responsable de «crimes contre l'humanité» nouvellement conçus.

La DUDH cherche à établir les droits de chaque personne, qu'elle vive dans une république démocratique, une monarchie ou une dictature militaire. «Elle a été écrite pour un moment précis comme actuellement, lorsque l'attirance pour le nationalisme et le populisme se développe même dans des pays démocratiques, à nouveau», explique la spécialiste britannique Francesca Klug.

Des préceptes fondamentaux

Même si le texte voulait établir des valeurs transcendant les frontières, ce sont toujours «les Etats qui ont compté» pour sa mise en oeuvre, souligne Conor Gearty, professeur à la London School of Economics. Selon lui, les Etats-Unis ont joué un rôle moteur durant la deuxième partie du XXe siècle mais le président Donald Trump, qui s'est attaqué au multilatéralisme et a claqué la porte du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, a mis fin à cette période. «Les Etats-Unis ont abandonné tout rôle de défenseur des droits humains internationaux, même sur une base hypocrite», dit-il, estimant que l'arrivée au pouvoir de Trump a marqué le point culminant d'un mouvement de retrait entamé avec la «guerre contre le terrorisme» depuis le 11 septembre 2001.

«Les Américains ont quitté l'immeuble», observe-t-il. «Les droits de l'homme ont besoin d'un puissant patron international sous peine de se flétrir», ajoute-t-il en estimant que l'Europe est «le seul candidat crédible» pour succéder à Washington. Pour sa part, Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili devenue en septembre la responsable des droits de l'homme à l'ONU, minimise l'idée que la DUDH avait besoin du soutien d'un super-pouvoir. Pour elle, le texte va perdurer car «ses préceptes sont tellement fondamentaux qu'ils peuvent s'appliquer à tout nouveau dilemme» y compris le changement climatique et l'intelligence artificielle.

La DUDH «a résisté aux épreuves durant les années qui ont passé», souligne Mme Bachelet. «Elle est, je le crois fermement, aussi pertinente aujourd'hui qu'elle l'était lors de son adoption il y a 70 ans».