Face au changement climatique, l'option des low-tech

Les nouvelles technologies sont souvent présentées comme une solution à la crise environnementale. Au fur et à mesure qu'elles se développent, le problème posé par l'extraction des minerais qui sont indispensables à leur fonctionnement se fait jour. Pour l'ingénieur Philippe Bihouix, il est grand temps de miser sur des technologies simples.
par
Camille
Temps de lecture 4 min.

Vous critiquez les high tech pour leur impact environnemental, à l'inverse de ceux qui assurent que l'innovation est une partie de la solution.

«Je ne suis pas contre l'innovation, bien au contraire. Mais il faut savoir de quelle innovation on parle. On mise souvent sur les nouvelles technologies. Le problème, c'est qu'elles sont très gourmandes en minerais précieux et en terres rares. Dans une voiture électrique, on trouve du coltan, du cobalt, du neodyme… L'extraction de ces matières a un coût énergétique très élevé.»

De quelles innovations avons-nous besoin pour limiter notre bilan carbone?

«On doit revoir nos façons de produire, de consommer, de vivre. Il nous faut des innovations sociétales et organisationnelles. On doit revoir l'organisation de l'espace, de façon à favoriser l'usage du vélo, y compris du vélo électrique. On doit revoir la conception des biens de consommation, afin qu'ils soient durables, réparables. On peut imaginer mieux utiliser les bâtiments scolaires, en les utilisant le week-end ou pendant les vacances, afin d'optimiser l'usage du bâti. On peut imaginer avoir des pièces de vie commune dans des habitats, afin d'éviter que chaque famille ne chauffe son salon plus que nécessaire.»

La question du chauffage des bâtiments est souvent pointée du doigt.

«Le chauffage est un important facteur de consommation énergétique. C'est aussi un bon exemple pour distinguer les low tech des high tech. D'un côté, on nous vend des applis pour activer notre chauffage à distance. De l'autre, on sait qu'isoler un corps est plus facile qu'isoler un bâtiment. Il y a une technologie très efficace pour cela, elle s'appelle enfiler un pull'. Vous allez voir, c'est redoutable! Et ça permet de réduire de quelques degrés le chauffage de son habitation.»

 

Les low tech, c'est aussi simple que cela, enfiler un pull?

«Ça va bien plus loin, et, contrairement aux clichés, il ne s'agit pas de revenir à l'âge de pierre. Il s'agit surtout de s'interroger sur notre consommation, sur nos besoins, afin de déterminer ce qui est essentiel. Il n'y a que comme cela qu'on parviendra à limiter la pression sur les ressources dont on dispose.»

D'un autre côté, de nombreux économistes assurent qu'il n'y a pas de risque de pénurie de ressources.

«Certains estiment en effet qu'on trouvera toujours une solution pour éviter la pénurie. C'est vrai. Mais à quel prix?! On parvient à extraire toujours plus de minerais, toujours plus de pétrole, mais à un coût environnemental toujours plus élevé. Dans les années 30, on pouvait produire 100 barils dans les champs d'Arabie pour un coût énergétique d'un ou deux barils. Aujourd'hui, la même production dans le Golfe du Mexique nécessite 15 à 20 barils; celle des sables bitumineux du Canada près de 35 barils. Cette production énergétique a un impact écologique considérable. Et il en va de même pour l'extraction des minerais, qui est toujours plus gourmande en énergie. Ainsi, en réalité, les high tech nous éloignent d'un monde durable.»

 

Les nouvelles technologies sont pourtant indispensables dans certains domaines, comme la médecine.

«Mon propos n'est pas de critiquer toute nouvelle technologie. Personne ne souhaite retourner à la médecine des années 60. Le problème est de savoir à quelles priorités nous souhaitons allouer les technologies les plus polluantes. On peut accepter l'extraction de minerais polluante à des usages vraiment utiles comme la médecine, et, en même temps, réduire notre demande de ces mêmes minerais dans notre quotidien.»

Comment favoriser la transition vers une société à l'impact carbone réduit?

«Les décideurs ont un grand rôle à jouer. Cela passe notamment par la fiscalité. Prenons l'exemple d'un fer à repasser qui tombe en panne. Aujourd'hui, si vous allez chez votre vendeur pour demander une réparation, il va vous suggérer d'en acheter un neuf, cela vous coûtera moins cher. C'est dû au fait que le travail nécessaire pour réparer est lourdement taxé, au contraire des ressources qui constituent le fer à repasser. En modifiant la fiscalité, il deviendra plus intéressant de réparer le fer à repasser défectueux. Il est indispensable de réorienter la consommation.»