Louise Mushikiwabo, une femme de caractère à la tête de la Francophonie

Désignée vendredi à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo représente avec caractère depuis une décennie le Rwanda sur la scène diplomatique, au côté du président Paul Kagame dont elle s'est affirmée comme le bras droit.
par
Clement
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Cette Rwandaise de 57 ans, qui succède à la Canadienne Michaëlle Jean, bénéficiait du soutien des pays africains, mais aussi de la France, signe du réchauffement des relations entre Kigali et Paris depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. Si sa compétence est reconnue, elle aura fort à faire pour convaincre de sa légitimité les sceptiques, pour qui le rapprochement entre le Rwanda et le monde anglophone il y a dix ans, et le rapport du pouvoir rwandais aux droits de l'homme auraient dû la disqualifier.

Polyglotte parlant le français, l'anglais et le kinyarwanda, Louise Mushikiwabo est devenue ministre des Affaires étrangères du Rwanda en décembre 2009, quelques jours à peine après la reprise des relations diplomatiques avec la France. Très vite, son volontarisme et ses talents de communicatrice lui permettent de s'imposer dans ses nouvelles fonctions. Elle défend avec verve le Rwanda, contribuant avec le président Kagame à en faire un acteur majeur sur la scène politique africaine.

Quand ce dernier est critiqué pour son autoritarisme, elle est la première à venir à sa rescousse, en arguant que sans lui le Rwanda ne se serait pas relevé aussi rapidement du génocide de 1994, qui fit 800.000 morts selon l'ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi. Esprit indépendant - elle n'est pas membre du FPR, le parti au pouvoir -, Mme Mushikiwabo est très populaire auprès des jeunes Rwandais, qui pour beaucoup la prennent pour modèle. Elle jouit également d'une image de sérieux, de compétence et de franc-parler auprès de la communauté diplomatique. «Je crois que je suis arrivée (aux Affaires étrangères) à un moment où le Rwanda était prêt à s'ouvrir au monde, où le monde était prêt à écouter le Rwanda», expliquait-elle il y a quelques semaines dans une interview.

Elle se disait surtout fière d'avoir oeuvré à «l'ouverture» de son pays, vers le continent africain en particulier mais aussi vers le monde, et contribué à faire revenir le Rwanda vers son «héritage de l'Afrique centrale francophone». «Depuis qu'elle est devenue ministre des Affaires étrangères, le Rwanda a réussi beaucoup de choses sur la scène internationale, a un meilleur statut international», acquiesce Frank Habineza, le leader du Parti démocratique vert, le seul parti d'opposition autorisé au Rwanda.

'La langue de mon enfance'

Nièce du poète, essayiste et écrivain Alexis Kagame - sans lien de parenté avec l'actuel chef de l'État -, Louise Mushikiwabo vient d'une famille qui n'appartient pas à l'élite traditionnelle tutsi, mais qui est respectée pour avoir réussi à force de travail. Son frère aîné Lando Ndasingwa était le seul ministre tutsi dans le dernier gouvernement du président Juvénal Habyarimana. Il a été tué au début du génocide en 1994.

En 2006, elle a publié «Rwanda means the universe: a native's memoir of blood and bloodliness», un écrit semi-autobiographique évoquant notamment le sort funeste de certains membres de sa famille lors du génocide. Elle-même avait échappé à la tragédie car elle résidait depuis 1986 aux États-Unis, où elle était restée travailler après ses études de langue et interprétariat à l'université du Delaware et a épousé un Américain.

Relativement inconnue au Rwanda, elle était chef de la Communication à la Banque africaine de développement à Tunis quand M. Kagame lui a demandé de rejoindre son gouvernement en mars 2008 au poste de ministre de l'Information. Également porte-parole du gouvernement, elle s'est montrée plutôt encline à respecter la liberté de la presse, mais aussi extrêmement ferme sur tout ce qui pouvait toucher à la négation du génocide.

En prenant la direction de la Francophonie, elle marche sur les pas de deux Africains illustres l'ayant précédée: le Sénégalais Abdou Diouf et l'Egyptien Boutros Boutros-Ghali. Même si elle a passé plus de 20 ans aux Etats-Unis et espère trouver un jour le temps d'apprendre l'espagnol, l'arabe ou le portugais, elle avait confié avoir toujours un «attachement à la langue française, qui est la langue de (son) enfance».

«Je garde toujours un côté sentimental, un peu mélancolique, mais j'ai été très éduquée par plusieurs auteurs africains francophones, surtout de l'Afrique de l'Ouest: Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, tout ça... J'ai lu beaucoup. Je lisais beaucoup dans le temps», avait-elle ajouté.