Le combat désespéré des apiculteurs pour sauver leurs ruches

Entouré d'une nuée d'abeilles turbulente mais clairsemée, Fabien Van Hoecke contemple son rucher d'élevage. "On se bat comme des fous pour reconstituer notre cheptel, décimé l'hiver dernier", mais "combien survivront l'an prochain?", soupire-t-il, "pessimiste".
par
Pierre
Temps de lecture 3 min.

Malgré l'interdiction de cinq néonicotinoïdes, pesticides utilisés dans l'enrobage des semences et accusés de tuer les pollinisateurs, l'apiculteur breton "se pose beaucoup de questions sur l'avenir" de la filière et de l'entreprise familiale, cogérée avec son épouse.

Sous l'épaisse voûte des arbres menant au rucher, des dizaines de boîtes vides s'entassent, vestiges de ruches encore grouillantes il y a quelques mois. A Saint-Aloué (Morbihan), comme dans beaucoup d'exploitations bretonnes et françaises, l'hiver 2017-2018 a représenté une "incroyable hécatombe".

"On a perdu 86% de nos abeilles, certains plus encore", lâche-t-il. "Entre les colonies mortes et celles très affaiblies", il en restait en avril "57 viables dans l'exploitation, sur 411". Du "jamais vu en quarante ans de métier", loin des "15 à 30% de pertes habituelles".

Entre trèfles et fougères, un carré d'herbe est carbonisé. "Il a fallu tout cramer", après la découverte de vrais cimetières, "très localisés", raconte l'apiculteur.

La raison de cette surmortalité reste "officiellement inconnue". Mais M. Van Hoecke n'a "aucun doute": capables de "parcourir deux kilomètres" pour butiner, les abeilles "s'empoisonnent là où sont les pesticides".

Appliqués sur les graines, les néonicotinoïdes "vont dans le pollen, contaminent les arbres fruitiers, châtaigniers ou fleurs sauvages qui bordent les champs", et "détruisent le système nerveux des pollinisateurs".

Ce "passionné d'abeilles" belge de 59 ans, passé par des projets coopératifs en Afrique, avait rejoint la Bretagne en 2017 pour "poser ses ruches en forêt", loin des cultures intensives.

"Mais des pesticides, il y en a partout", et si l'interdiction de cinq produits "est une bonne chose, elle ne nous sauvera pas". Aussitôt retirés, ils seront "remplacés par d'autres".

"Au bord de la faillite"

Des industriels et coopératives agricoles ont même "sûrement cherché à écouler leurs stocks" et "testé de nouveaux produits", estime M. Van Hoecke pour qui les néonicotinoïdes "ne sont que la partie émergée de l'iceberg", engrais et biocides formant un "cocktail terrible".

Députés, préfets, "tous chantent la biodiversité mais disent la même chose: qu'il faut 'objectiver', faire plus d'enquêtes", s'agace-t-il, enfilant sa combinaison. Alors que l'utilisation des pesticides a augmenté de 12% entre 2014 et 2016, "personne ne reconnaît que le système est en cause, car il pèse des milliards d'euros. Nous, on n'est rien!"

"On nous dit qu'on ne sait pas soigner nos ruches, les traiter contre la varroase (maladie entraînée par un parasite), mais c'est faux", s'emporte-t-il.

Les 3 millions d'euros d'aides promis par l'Etat? "Poudre aux yeux, pour nous faire taire" après plusieurs manifestations, tranche le professionnel.

"Il s'agit d'un pourcentage remboursé sur l'achat de colonies", mais "comment en racheter 300, à 150 euros pièce, quand on n'a plus de miel, de bénéfices?", demande-t-il, la procédure nécessitant par ailleurs de "prouver qu'on traite les ruches avec un produit homologué, très cher".

"Au bord de la faillite", beaucoup d'apiculteurs ont préféré "autorenouveler" les cheptels, à partir des "rares survivantes".

"On a bataillé sans relâche pour fabriquer des reines, reconstituer 150 colonies", et récolter "900 kg de miel". Des apiculteurs solidaires ont "offert des ruches". Mais "personne ne viendra compenser" les "sept tonnes de manque à gagner".

Virevoltant sous une bruine légère, des ouvrières chargées plongent vers une ruchette, dans un bourdonnement trépidant. "Ce qu'elles récoltent maintenant peut aussi être contaminé", s'inquiète l'exploitant.

Brandissant un cadre dégoulinant de miel, il entend bien "continuer le combat". "Sentinelles de l'environnement, nos abeilles sont en première ligne", clame-t-il, appelant à un "changement profond des mentalités", qui viendra, pense-t-il, "de la base" car "les consommateurs n'en veulent plus, des pesticides!"