A Arles, les détenus prennent la pose pour "montrer une autre image de la prison"

Un jardin fleuri, un sablier, une douche, mais peu de barreaux: pour les clichés de Christophe Loiseau, exposés aux Rencontres d'Arles et réalisés dans la maison centrale de la ville, les détenus ont pris la pose pour "montrer une autre image de la prison".
par
Laura
Temps de lecture 3 min.

Le projet a pris forme il y a deux ans et demi, au travers d'ateliers avec une dizaine de volontaires de l'établissement où 130 prisonniers purgent de longues peines.

"Chacun a travaillé à la réalisation de l'image. Il y a eu cette volonté d'exister à l'intérieur mais aussi à l'extérieur", résume le photographe: "Je leur ai proposé de réaliser un portrait d'eux qui ne serait pas un portrait en prison... il y a très peu de barreaux sur les photos".

Enfermement toujours présent

Un cliché montre ainsi un jardin exigu mais extrêmement fleuri, entretenu depuis 20 ans par un détenu. Un autre a choisi de se faire photographier dans un arbre, un troisième sous une douche devant un mur de végétation. Mais sur tous les clichés, la prison, l'enfermement restent toutefois omniprésents, comme sur la photo de ce détenu torse nu, tête baissée, yeux fermés, qui tient au dessus de lui un sablier d'où s'écoule lentement un sable doré comme mesurant le temps de ses 30 ans de détention.

En prison, où prendre des photos est interdit, le travail avec Christophe Loiseau a permis aux détenus de retrouver une image d'eux-mêmes. Jean-Barthélémy, surnommé Modeste, a choisi de poser devant une fenêtre ouverte donnant sur un espace vert, au fond duquel un grillage et un bâtiment carcéral barrent la vue: "On est enfermé, c'est un univers de prison, mais c'est un endroit où certains détenus plantent des fruits, des arbres. (...) On n'est pas forcément mort en prison, malgré une peine indéfinie".

Lui-même, entré l'année dernière dans l'établissement après avoir été condamné à perpétuité, a participé avec enthousiasme au projet: "Ca veut dire qu'on n'est pas oublié, on est venu vers nous, c'est exceptionnel".

"Garder un lien avec l'extérieur" 

Olivier travaille à la prison comme cuisinier, une profession dont il veut faire son métier quand il sortira. Sa photo le représente, yeux clos, bras croisés, l'air serein, en tablier de cuisine. Devant lui, des morceaux d'assiettes fracassées ont été figés, suspendus en l'air, par l'objectif.

"La veste de cuisine pour symboliser l'homme nouveau mais les débris d'assiette pour symboliser aussi le passé, les dégâts d'avant l'incarcération", explique le détenu de 46 ans, condamné à 30 ans pour meurtre et incarcéré depuis 2003.

Il a participé à l'atelier photo après un atelier cuisine. La maison centrale a également mis en place des ateliers musique et théâtre. Autant d'occasions "de garder un petit lien avec l'extérieur, c'est très important pour nous et pour le vivre ensemble. On se découvre autrement", raconte Olivier pour qui cela a aussi ouvert "un autre contact avec la directrice et les surveillants".

Exposition en prison

"Le travail sur soi, le travail sur son image, ça conduit forcément les détenus à réfléchir, à se poser... C'est un message de leur part sur ce qu'ils sont réellement et sur ce qu'ils ont envie de faire passer d'eux-mêmes", témoigne la directrice Corinne Puglierini: et pour ces détenus "dont certains n'ont pas eu de permission de sortie depuis des années, c'est important de faire entrer l'extérieur à l'intérieur de nos murs".

Dix-sept photos sont montrées au public dans une salle d'exposition, mais aussi, et c'est une première, dans la prison, où un public restreint peut entrer après en avoir fait préalablement la demande. A l'intérieur comme à l'extérieur, l'exposition est présentée par des détenus "médiateurs", bientôt libérables. "J'ai le trac", avoue l'un d'eux, Khaled, qui "répète depuis une semaine".

"Droit à l'image". Rencontres de la photographie, exposition à la maison centrale d'Arles et à l'espace Croisière jusqu'au 23 septembre.