Kiyoshi Kurosawa : « Les films de monstres reflètent les peurs d'une société »

Cannes – C'était il y a un peu plus d'un an : aidé par son interprète, et entre deux cris de mouette, Kiyoshi Kurosawa présentait son nouveau film aux journalistes sur la Croisette. ‘Avant que nous disparaissions (Before We Vanish)' mêle avec audace romance, polar et science-fiction, à travers l'histoire d'un couple, d'une invasion d'aliens, et d'un journaliste qui mène l'enquête.
par
elli.mastorou
Temps de lecture 4 min.

Avec ce film, vous revisitez le thème de l'invasion extraterrestre : ‘Godzilla', ‘Independence Day', ‘La Femme de l'Astronaute'… Quelles sont vos références, vos influences majeures dans le genre ?

Kiyoshi Kurosawa : « Petit, j'ai vu beaucoup de kaij? eiga (‘cinéma de monstres', NDLR) et c'est des films qui m'ont beaucoup marqué. Particulièrement ceux d'Itshiro Honda (réalisateur culte de la saga Godzilla, très célèbre au Japon, NDLR) qui était vraiment le maître du genre. Il a aussi tourné des films d'horreur. Et puis j'ai été aussi marqué par des films américains comme ‘Invasion of The Body Snatchers (L'invasion des profanateurs)' (Don Siegel, 1956, NDLR) : j'ai d'abord vu le remake de Philip Kaufman qui date de 1978. J'ai vu l'original plus tard, et il m'a aussi fort marqué. »

Ces films exprimaient souvent les peurs de la société à l'époque, comme la guerre nucléaire… C'est pareil avec votre film ?

« Oui, c'est vrai que c'est propre à ce genre de cinéma d'horreur, de monstres: il reflète toujours d'une certaine manière les peurs et les espoirs d'une société, ou du monde, à un moment donné. Le film de Don Siegel est sorti dans les années 50, en pleine Guerre Froide, et tous les films de cette période portent la trace de ça. Donc mes films aussi sont bien sûr influencés par l'actualité. A travers le thème de l'invasion extraterrestre, je parle aussi des angoisses de la société japonaise. Les gens ont peur d'une grande guerre, et cette peur augmente de plus en plus. Le film parle de ça aussi. »

Dans le film, les personnages envahis par les extraterrestres deviennent une nouvelle personne : ils repartent, en quelque sorte, de zéro. Vous y avez déjà pensé ?

« Oui, c'est un peu un rêve que j'ai :  pouvoir, comme un ordinateur, réinitialiser mon système (rires). Garder les souvenirs, les fichiers, mais effacer tout ce qui est superflu, dont je ne me sers plus. C'est une idée agréable. Mais si je fais ça, serais-je encore moi ? C'est aussi toute la question du film. Je dirais que je suis partagé entre l'angoisse, et le désir de renaissance. »

L'histoire du film est adaptée d'une pièce de théâtre : qu'avez-vous changé, qu'avez-vous gardé ?

« C'est la première fois que j'adapte une pièce, et c'était un vrai défi. Par exemple, le rapport au temps n'est pas pareil au théâtre et au cinéma, donc certains dialogues, très précis, ne marchaient pas. J'ai donc dû réécrire, retravailler ça. Il fallait raconter l'histoire avec les outils du cinéma – et j'avais peur que des éléments de la pièce ne marchent pas dans le film. Je n'ai rien changé au couple central du film, Narumi et Shinji, mais j'ai développé davantage le rôle du journaliste, Sakurai – surtout dans la seconde moitié du film. Et j'ai aussi modifié la fin, en rajoutant des scènes par rapport à la pièce : au théâtre, la fin laissait certaines questions sans réponse. J'ai rajouté des scènes avec Sakurai, pour justement répondre à ces questionnements. »

Parlez-nous des effets de lumière particuliers que vous avez utilisé dans la représentation des extraterrestres...

« Ah, ça c'était pour moi une façon économique d'avoir recours à des effets spéciaux (rires). Comme j'ai dit, c'était un défi d'adapter la pièce en film, parce que c'est deux médiums différents. Ces jeux de lumière, c'est une solution que j'ai trouvée pour adapter l'histoire au langage du cinéma. Et puis ça confère aussi un aspect comique ! Du coup le film a aussi des côtés humoristiques – même s'il tend de plus en plus vers le drame, jusqu'à l'apogée. »

Notre avis

Que feriez-vous si votre compagnon, que vous aimez beaucoup malgré ses petits défauts, disparaisse un jour sans explication ? Mieux encore : quand il réapparaît, tous ses petits défauts sont partis : il est devenu parfait… mais est-ce encore vraiment lui ? C'est ce qui arrive entre Narumi et son copain Shinji, qui commence à se comporter étrangement. Au même moment, une série d'événements violents perturbent la ville… Bienvenue dans le nouveau film de Kiyoshi Kurosawa – rien à voir avec Akira -, cinéaste japonais avec un goût prononcé pour le thriller éthéré (‘Rétribution', ‘Le Secret de la chambre noire' avec Olivier Gourmet). ‘Avant que nous disparaissions (Before We Vanish)' revisite le thème de l'invasion extra-terrestre en y mêlant des thèmes comme la romance et le film policier (à travers le personnage du journaliste-détective). Un mélange de genres, influencé entre autres par le cinéma américain (Kurosawa a travaillé aux USA), et raconté avec un style paisible et détonnant : les explosions de violence sont contenues, et le film baigne dans une ambiance surnaturelle intrigante. Le résultat est parfois déconcertant, mais cela donne au film une aura particulière, qui révèle toute sa puissance et son émotion dans les dernières minutes du film, qui marquent durablement.

Elli Mastorou

crédit photos : Imagine Film Distribution